mardi 4 mars 2014

Pour un « printemps marseillais »


A quelques semaines des élections municipales, on se prend à espérer. Et si elles annonçaient un « printemps marseillais » ? A la veille de cette échéance, les citoyens de tout bord s'organisent en collectifs et planchent sur des idées fortes. Enfin repenser la ville ensemble, en terminer avec ce terrorisme de la pensée clientéliste qui a tiré la cité phocéenne vers le bas. Le « printemps marseillais » devra se faire avec et pour la jeunesse, éternelle grande oubliée. Une jeunesse pleine de force contestataire, qui porte beau la diversité si chère à la ville, malgré un chômage endémique et le désert culturel ambiant.

Il ne fait pas bon être jeune à Marseille et, quand on vit au pied des collines, c'est pire. Repenser la ville en prenant en compte les attentes de cette jeunesse sera un des défis à relever. En 2013, l'année « Capitale de la culture » fut avant tout une liesse aux enjeux politico-touristiques, n'en déplaise à certains. Une gabegie financière dont nombre de structures associatives vont payer le prix fort avec des budgets amputés. Mais nous fûmes heureux d'arpenter la ville. La place des jeunes fut remisée aux oubliettes de l'ennui sous les fumigènes bon enfant et les bêlements de moutons. Foin de Manu Chao et du hip-hop, passés à la trappe au nom de la bien-pensance, alors que nous sommes dans la capitale du flow et de l'éloquence.

Une ville qui n'offre pas d'espace à sa jeunesse est une ville malade. Désormais, les Marseillais veulent une politique culturelle digne de ce nom avec l'exigence de mettre en lumière cette formidable énergie créatrice, essence même de la ville. Il n'est que de voir le fourmillement artistique, hélas quasi confidentiel qui règne ici. Il faudra injecter de vrais moyens pour émerger de cette débrouille artistique et donner une visibilité aux talents. Marseille a mal à sa jeunesse. Il suffit pour s'en convaincre de mettre le nez dehors un samedi soir : il n'y a qu'un seul cinéma dans le centre-ville. Pour prendre un verre, se rencontrer, il faut aller sur le cours Julien, le Boboland local. C'est chiche. La jeunesse dorée descend plutôt au Vieux-Port. On y mange mal, mais au moins ça drague.
Pour ceux des quartiers isolés, il n'y a rien à faire. On reste cantonné à la maison faute de transports en commun passé une certaine heure, sans aucune possibilité de rencontrer d'autres jeunes, de confronter son regard. Etre un jeune Français des quartiers nord de Marseille, c'est subir à plein temps la ségrégation urbaine. La marge de manoeuvre est mince : faire des études, talonné par la crainte du chômage en bout de course, décrocher pour des jobs précaires ou quitter la ville. La minorité des jeunes qui dealent au pied des cités occulte la majorité silencieuse qui se bat au quotidien pour un projet de vie décent. Les médias ne s'intéressent pas à ces jeunes-là. Pourtant, ils existent, font des études, souvent brillantes, s'impliquent fortement dans leur quartier au niveau sportif, culturel et social.
Dans le cadre de mes ateliers d'écriture, je rencontre des mères de famille qui travaillent et portent à bout de bras leurs enfants. S'il y a bien un espoir venant de ces territoires délaissés, il est porté comme un flambeau par ces femmes mobilisées chaque jour corps et âme. Ces femmes devenues chefs de famille du fait de la crise doivent être écoutées, soutenues. Le renouveau de ces quartiers passe aussi par elles.
Encore faut-il qu'au prétexte de rénovations urbaines on cesse de pousser au changement de population, de défaire la mixité sociale, de couper les liens intergénérationnels. Les cités surplombent la rade de Marseille. La vue époustouflante attise la convoitise des promoteurs. Peu à peu, à deux pas des tours HLM, se construisent de nouveaux lieux d'habitation où l'entre-soi prévaut, derrière les murs et caméras de surveillance. Patrick Mennucci, candidat à la mairie, parlant des quartiers nord, évoque dans son programme « une jeunesse turbulente ». Ce mot plein de condescendance souligne le fossé entre une partie de la ville et l'autre. De quoi cette jeunesse turbulente est-elle l'écho, si ce n'est de l'échec cuisant de l'Etat ?
Marseille est la ville la plus inégalitaire de France, entre fracture sociale, territoriale, économique et écologique. Voilà les turbulences qui nous menacent tous. Sans grand projet, l'écart continuera de se creuser avec les conséquences que l'on devine. Malgré ce constat, il existe une réelle volonté de redonner un élan à la ville. Les collectifs citoyens qui se battent pour une Marseille nouvelle ne se comptent plus : Gabians, Sursaut, Sentinelles, Laisse béton. A nous de continuer à nous mobiliser pour une ville ouverte, riche et fière de la singularité de ses quartiers. Le « printemps marseillais » s'annonce brûlant sous l'éclat minéral des pavés du Vieux-Port. Plus rien désormais ne pourra l'arrêter.

Le Monde.fr

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