mardi 4 avril 2017

Bernard Debré : « Comment François Fillon voit l’Afrique »

Passé colonial et avenir commercial, opérations militaires et diplomatie parallèle… Les prises de position du candidat des Républicains, par la voix de son conseiller aux affaires africaines.
Bernard Debré a été l’un des premiers à croire en François Fillon. Avant que ce dernier ne soit désigné candidat à la présidentielle, en novembre 2016, à l’issue de la primaire de la droite et du centre. Avant, surtout, qu’il soit rattrapé par le Penelopegate. Fin janvier, Le Canard enchaîné révélait en effet que l’épouse du candidat avait été grassement rémunérée, par de l’argent public, en tant qu’assistante parlementaire de son époux. Depuis, la justice est à la recherche de traces du travail effectif de Penelope Fillon… et l’ancien grand favori de la présidentielle est plongé dans la tourmente.
Cela n’empêche pas Bernard Debré, 72 ans, de se montrer d’une fidélité sans faille. Chargé des questions africaines au sein de l’équipe du candidat des Républicains, il a les coudées franches : ni François Fillon ni Bruno Le Maire – son « conseiller aux affaires internationales » – n’ont de passion pour le continent. Le député de Paris, qui fut ministre de la Coopération (en 1994-1995, sous le gouvernement Balladur), lui, le connaît bien. À commencer par ses palais présidentiels, qu’il a fréquentés en tant que médecin urologue. Un bon poste d’observation pour proposer une nouvelle politique africaine ?
Jeune Afrique : François Fillon peut-il toujours se présenter à l’élection présidentielle ?
Bernard Debré : Évidemment. Il a largement remporté la primaire de la droite et du centre, et il a le meilleur programme.
Penelope Fillon a-t‑elle travaillé en tant qu’assistante parlementaire ? En avez-vous été témoin ?
Quand il était Premier ministre, j’avais demandé à François Fillon de venir pour une inauguration. Il m’a répondu : « Je t’envoie ma collaboratrice. » C’était elle ! Et là, elle m’a dit : « J’ai été très longtemps l’assistante parlementaire de François. »
Elle travaillait donc pour son époux tout en étant employée par son adjoint ?
Peu importe. Son adjoint était d’accord pour qu’elle y aille. D’ailleurs, la justice n’a pas à juger du travail des assistants parlementaires. C’est se mêler de l’activité du législateur, et c’est inacceptable.
À quelques mois de la fin du mandat de François Hollande, le gouvernement sortant vient de nommer certains de ses collaborateurs à des postes d’ambassadeur. Qu’en pensez-vous ?
J’ai toujours été choqué par ces pratiques, même quand elles venaient de mon propre camp.
Si Fillon est élu, allez-vous revenir sur ces nominations ?
Les ambassadeurs servent le pouvoir en place. Une fois qu’ils ont été nommés, s’ils sont manifestement incompétents, il faut les changer. Sinon, il n’y a aucune raison de le faire.
En quoi la politique africaine que propose François Fillon est-elle différente de celle qu’a menée François Hollande ?
Quelle était la politique africaine sous Hollande ? À part les interventions au Mali et en Centrafrique, il n’y a pas eu grand-chose… Il faut radicalement changer. Nous n’avons pas à nous immiscer dans la politique intérieure des pays africains. Ils sont majeurs et vaccinés. En revanche, nous devons soutenir davantage nos entreprises, qui disparaissent d’Afrique… pour le plus grand profit des Chinois.
En septembre 2016, s’exprimant à propos de la présidentielle gabonaise, François Fillon a suggéré qu’Ali Bongo Ondimba n’avait pas gagné le scrutin…
C’était un commentaire inapproprié. Je ne sais pas qui a gagné. Je reçois la majorité comme l’opposition, à qui je dis : « Nous n’avons pas à nous mêler de vos affaires. En revanche, nous souhaitons que vous vous entendiez. »
En Côte d’Ivoire, la France est intervenue contre Laurent Gbagbo en 2011. Pourtant, il s’agissait d’une affaire intérieure, et Fillon était Premier ministre…
C’était après des années de crise. La Côte d’Ivoire était sens dessus dessous. Il fallait faire quelque chose. L’erreur avait été commise avant, sous Jacques Chirac, au début du conflit. Nous aurions pu laisser faire et négocier avec le vainqueur, ou bien défendre le gouvernement contre une agression, en vertu de nos accords militaires. Nous avons choisi une troisième voie, la pire : se mettre au milieu, là où l’on prend des coups.
En Afrique, la France peut-elle aider ses entreprises sans user de son influence politique ?
Oui ! Nous le faisons dans bien d’autres parties du monde. D’ailleurs, quand on aide les entreprises françaises à s’implanter en Chine, on ne juge pas le gouvernement chinois, qui n’est pourtant pas très démocratique…
Faut-il maintenir l’opération Barkhane au Sahel ?
Oui. Nous n’avons pas à intervenir dans les affaires intérieures des États, mais nous pouvons lutter contre les menaces extérieures. Les pays concernés par les opérations Serval et Barkhane étaient confrontés à un danger imminent.
Lors de sa visite au Mali et au Niger, en décembre 2016, François Fillon a demandé à l’Union européenne de s’impliquer davantage…
Au Moyen-Orient comme en Afrique, nous ne pouvons plus être le bras armé, isolé, de l’UE. Il faut que celle-ci engage des troupes ou, au minimum, contribue au financement des opérations militaires.
La France n’a pas demandé l’avis des Européens avant d’intervenir au Mali…
Non, mais c’était une opération internationale, menée avec les troupes tchadiennes. D’ailleurs, les Européens ont applaudi. Je leur dis : « Si vous applaudissez, aidez-nous. »
Le président Hollande a mis fin à la diplomatie parallèle avec l’Afrique. Est-ce un progrès ?
J’ai toujours été contre les circuits parallèles, notamment lorsque j’étais ministre de la Coopération. Mais François Hollande a fait la même chose ! Je sais, par mes contacts, qu’il y a toujours des émissaires officieux. Il faut rompre avec cette pratique.
En juillet 2016, François Fillon a rencontré Jean Ping, l’opposant gabonais. On dit que cette rencontre a été organisée par Robert Bourgi. Est-ce exact ?
Non. J’ai fait une note à Fillon pour lui dire de ne pas voir Bourgi. Je suis totalement contre. Il nous a fait assez de mal. Ce ne sont pas les rumeurs qui manquent. J’ai lu, par exemple, qu’un certain Marc Bousquet sillonnait l’Afrique en affirmant faire partie de notre équipe de campagne. C’est absolument faux.
Tous les pays occidentaux ont colonisé. Cela n’a pas été très glorieux, mais il n’y a pas eu que des mauvaises choses : l’enseignement, etc. On croyait amener la civilisation. C’était une autre époque ! Si nous revenons en permanence sur ce sujet, la coopération deviendra impossible. Je ne suis pas pour la repentance. C’est du passé, et la jeunesse de ces pays n’a pas connu la colonisation.
Et puis, croyez-vous que la coopération chinoise soit parfaitement noble ? Les Chinois s’approprient le sol, le sous-sol et les réserves halieutiques des Africains. De surcroît, ils amènent leur propre main-d’œuvre… Au passage, je dis aux Africains : « Faites attention. »
Selon vous, la jeunesse africaine n’éprouve aucun ressentiment vis‑à-vis de la France ?
Cette jeunesse demande qu’on l’aide. Quand je vais opérer là-bas, on ne me dit jamais « vous êtes un affreux colonialiste ». C’est une époque que je n’ai pas connue.
Certaines actions de la France en Afrique vous sont contemporaines, comme l’opération Turquoise au Rwanda. Le gouvernement de l’époque a-t‑il des choses à se reprocher ?
Je n’ai été ministre de la Coopération qu’après. Mais j’avais vu [l’ancien président Juvénal] Habyarimana avant la guerre. Il m’avait dit : « Un drame va se produire. Je n’arrive pas à calmer mes extrémistes, et les Tutsis veulent reprendre le pouvoir. » Lorsque je suis revenu en France, je l’ai dit à Alain Juppé, qui était alors député. Au moment de l’opération Turquoise, j’étais sur place.
Je ne peux pas imaginer que l’armée française ait été complice des Hutus. Il y a eu un génocide épouvantable : les Hutus ont tué des centaines de milliers de Tutsis. Après, il y a eu une revanche, malheureusement naturelle, des Tutsis contre les Hutus.
Soutenez-vous encore que les Hutus ont été victimes d’un génocide ?
Non, je dis qu’il y a eu une revanche. Maintenant, je souhaite qu’on apure tout cela. Nicolas Sarkozy est allé à Kigali, mais Paul Kagame n’a pas toujours manifesté une grande sympathie vis‑à-vis de la France. Je reconnais que le Rwanda se développe de manière remarquable. Ce n’est pas une grande démocratie, mais on le cite souvent en exemple. Il n’y a pas de raison pour que l’on n’essaie pas de participer à son développement.

Jeune Afrique

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire