vendredi 1 juin 2012

Henri Sterdinyak. Directeur du département économie de la mondialisation à l’OFCE «L’adhésion à l’OMC est une décision lourde de sens sur les plans politique et économique»

- Le cycle de Doha n’a toujours pas été conclu, en raison de divergences de fond entre les pays membres de l’OMC. Peut-on dire que le multilatéralisme est en crise ?

Le cycle de Doha, ouvert en novembre 2001, n’a toujours pas abouti. Ceci marque une crise du multilatéralisme. Les pays développés, les pays émergents et les pays du Sud n’ont pas la même vision de l’évolution de l’économie mondiale. Doha devait être le «cycle du développement», mais les pays du Nord, menacés par la montée en puissance des pays émergents, réclament maintenant des concessions des pays émergents et veulent limiter les «traitements spécifiques» dont bénéficient les pays en développement. Aucun accord ne peut intervenir car les pays du Nord refusent de sacrifier leur agriculture et les pays du Sud veulent continuer à pouvoir se développer, quitte à utiliser des moyens contestables (protection des entreprises naissantes, lourde taxation des produits importés non indispensables, non-respect des normes sur la propriété intellectuelle). La doctrine libérale, qui fondait l’OMC, selon laquelle la baisse des barrières douanières permettrait automatiquement une forte croissance de toutes les zones du monde n’est plus dominante. Or, l’unanimité serait nécessaire.

Le risque est surtout le développement d’accords bilatéraux où les pays les plus puissants (Etats-Unis ou Chine) pourraient imposer leur volonté. Par contre, le développement de zones régionales de libre-échange (en Amérique latine, en Asie-Pacifique) est sans doute une bonne chose.


- Peut-on aussi considérer que les membres de l’OMC rechignent à respecter les règles du jeu applicables à tous dans la mesure où ces divergences touchent à l’ouverture des marchés et aux subventions dont bénéficient certains produits ?

Les pays du Nord, confrontés à leur désindustrialisation et à la montée du chômage, refusent de plus en plus que certains pays émergents continuent à sous-évaluer leur monnaie, à protéger leur industrie, à taxer fortement certains produits importés et n’ouvrent pas leurs marchés publics. Ils refusent de voir disparaître leur agriculture. Les pays du Sud reprochent aux pays du Nord de continuer à protéger et à subventionner leur agriculture, de vouloir les obliger à une ouverture trop rapide de vouloir s’emparer de certains secteurs (finances, services publics, culture), de prendre des mesures qui freinent leur croissance (comme la protection de la propriété intellectuelle). Ils refusent que des normes sociales ou environnementales puissent être évoquées pour justifier des mesures protectionnistes.
En même temps, il faut noter que la crise de 2007-2012 n’a pas provoqué de retour en force du protectionnisme et que les pays du G20 continuent à proclamer leur attachement au libre-échange.


- Qu’est-ce qui pourrait motiver aujourd’hui un pays comme l’Algérie à adhérer à l’OMC ?

L’Algérie est candidate à l’OMC depuis 1987. L’OMC regroupe aujourd’hui 157 membres. Malgré ses limites, c’est un lieu de discussion important. Il est important pour les pays émergents d’y participer pour augmenter leur poids et pour faire évoluer les règles du jeu. C’est ce que vient de faire la Russie.
L’adhésion à l’OMC oblige à fournir des garanties d’ouverture au commerce international et de respect de normes d’accueil des investissements étrangers, qui peuvent, certes, être vues comme des contraintes, mais qui sont aussi des éléments indispensables pour permettre des coopérations fructueuses avec des partenaires étrangers, pour donner confiance aux importateurs comme aux exportateurs. C’est cependant une décision lourde de sens sur le plan politique et économique : c’est se donner comme objectif d’insérer durablement l’Algérie dans la division internationale du travail : d’une part, en développant le secteur d’exportations non pétrolières, d’autre part, en ouvrant progressivement son marché intérieur. Cette ouverture devra être contrôlée pour certains secteurs : secteurs financiers, services publics, culture.

 

Melissa Roumadi
El watan

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