dimanche 17 février 2013

Abdelkrim Boudra. Membre du collectif Nabni : «La bureaucratie est plus puissante que le système politique»


-L’arrivée du nouveau gouvernement Sellal a laissé entrevoir des possibilités d’amélioration du climat économique pour les entreprises. Sur le terrain, cette volonté affichée a-t-elle été concrétisée ?
Quand on parle de climat des affaires, il y a un certain nombre de points qui nécessitent des plans d’action à court et moyen termes, qui sont bien plus lourds que de simples décisions. Ce serait illusoire de s’attendre à ce que ça change immédiatement. Ce que je peux dire, c’est qu’on a senti une réelle volonté exprimée, mais cela reste au niveau de la volonté. Maintenant, ce qui va être un critère tangible, ce n’est pas que les choses changent, c’est encore tôt, il faut d’abord commencer à travailler pour espérer que ça change, mais qu’il y ait un programme d’action sur le court terme avec des délais sur les actions que compte faire le gouvernement. Au sein du groupe Nabni, nous avons un chantier sur l’amélioration du climat des affaires à moyen terme, mais à court terme il faut des mesures comme celles qui ont été prises et d’autres encore. Il ne faut pas croire que ça va changer rapidement.
-Il est encore tôt pour faire une évaluation et savoir par exemple si le délai d’octroi de crédit a été effectivement réduit.
Vous parlez d’un plan d’action à moyen terme, mais sur le court terme, où situeriez-vous l’urgence ?
Dans le rapport Nabni 2012, la première mesure concerne la réduction des 20 actes administratifs les plus utilisés. Nous avons fait une étude et listé l’ensemble des documents et on voit qu’il y a un tas de paperasse qu’on nous demande à chaque fois et qui ne sert absolument à rien, si ce n’est à rendre nos administrations toujours pleines de monde, avec des chaînes interminables. J’ai été récemment au niveau de l’agence nationale de développement de la PME avec un client, on nous a demandé une copie du registre du commerce, de la carte fiscale, du casier judiciaire etc., en six exemplaires, qui ne servent absolument à rien et que personne ne verra. On a donc proposé la numérisation des documents à travers un site web Idara.dz, où il y aurait tous les documents compilés par département ministériel.
On ne dit pas que ce sont les mesures de Nabni qui doivent être mises en œuvre, mais il faut que le gouvernement ait une série de mesures pour qu’on sache ce qui va changer dans les mois à venir. Nous avons fait des propositions, d’autres associations ont également fait de même, mais tant que nous n’avons pas d’actes tangibles… Si on parle des crédits, c’est une décision qui implique les banques ; en quoi le gouvernement peut-il la maîtriser ? Elle relève du comportement des agences bancaires. En revanche, agir au niveau réglementaire des wilayas, des APC, des changements des dossiers qui ne servent à rien, c’est là qu’il y a un message fort que le gouvernement peut transmettre et ça ne coûte absolument rien.
-Pensez-vous que cette sur-bureaucratisation découle d’un manque de compétence ou d’une volonté de bloquer les initiatives, ce dont a été accusé l’ancien premier ministre Ouyahia ?
Brider l’initiative des agents économiques, non. Si vous faites allusion aux décisions d’Ouyahia, c’étaient des décisions politiques qui ne relèvent pas de la bureaucratie. La bureaucratie est un système à l’intérieur du système, qui dépasse le politique même.
Le fonctionnement de la bureaucratie correspond à un certains nombre de règles, de structures, de gens qui ont leur propre logique, qui parfois transcende la décision politique. C’est pour cela qu’il faut la détricoter calmement. Quand vous donnez la possibilité à un fonctionnaire de la Banque centrale de considérer si une entreprise a le droit ou pas d’exporter, vous lui donnez un pouvoir discrétionnaire qui est multiplié par les milliers d’acteurs des mairies, des APC, des daïras, de la douane, etc.
C’est avec ce type de décision que vous leur donnez la possibilité de jouer un rôle. Il y a des fonctionnaires qui vont l’utiliser à bon escient, d’autres vont essayer de le monnayer, en devenant des corrompus, soit en cherchant à avoir une contrepartie sous une forme ou une autre, soit d’en faire un outil de valorisation sociale. La bureaucratie est une pieuvre qui est plus puissante que le système politique actuel. Il faut calmement la déconstruire, parce qu’elle s’est construite au fil des années, démarrant de l’idée que les citoyens sont incapables et il y a l’Etat qui fait tout et il se manifeste à travers la bureaucratie. C’est cela l’erreur, car on devrait laisser les citoyens plus libres avec la possibilité de s’organiser et non pas considérer que l’Etat est le garant de tout systématiquement.
 
Safia Berkouk
EL WATAN

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