mercredi 1 mai 2013

La cité phocéenne doit devenir «une plaque tournante de l’économie algérienne et française»



               Samia Ghali. Sénatrice-maire et candidate socialiste à la mairie de Marseille



Samia Ghali, née le 10 juin 1968 à Marseille, de parents algériens originaires  des Aurès, est sénatrice des Bouches-du-Rhône depuis septembre 2008, maire des 15e et 16e arrondissements de Marseille depuis mars 2008. Le 21 janvier 2013, elle se déclare candidate à la mairie de Marseille en vue des élections municipales de 2014. Samia Ghali est vice-présidente du groupe d’amitié France/Algérie du Sénat qui se rendra en visite en Algérie du 6 au 11 mai prochain.
- Le voyage du président Hollande en Algérie en janvier dernier a-t-il tenu ses promesses ?
 
On ne va pas reconstruire en quelques mois ce qui a été détruit depuis des années entre la France et l’Algérie. Il faudra du temps et surtout de la volonté politique des deux côtés pour y arriver. La France est liée à l’Algérie, qu’elle le veuille ou non, et réciproquement, par l’histoire et la proximité géographique. Marseille en est la preuve vivante, Marseille, c’est la sœur jumelle d’Alger ou de Annaba. Il est donc important qu’entre ces villes qui se ressemblent tellement il y ait une vraie passerelle. Marseille doit devenir la capitale méditerranéenne, une plaque tournante de l’économie algérienne et française à la fois, mais aussi pour le monde entier. La communauté algérienne à Marseille est plus qu’importante, elle est omniprésente, a toute une histoire, est ancrée et intégrée et entre cette communauté marseillaise et celle de l’autre côté de la Méditerranée, les liens sont extrêmement forts. Je parle pour moi, par exemple, j’ai mes parents à Marseille, mais j’ai mes tantes qui sont nées en France, mais qui ont décidé, dans les années 1980, à l’âge de vingt ans d’aller vivre en Algérie. Si demain j’étais maire de Marseille, je créerais une Chambre de commerce franco-algérienne qui permettrait des échanges bilatéraux, mais aussi avec le reste de l’Afrique. C’est incontestable. C’est ce qui va sauver Marseille. Elle a besoin de l’Algérie pour se développer. Cette dernière est amenée à se développer et elle a de l’argent, dans un pays de souffrance économique comme la France, un pays comme l’Algérie peut apporter un souffle à Marseille.

- Vous allez vous rendre prochainement en Algérie avec le groupe d’amitié du Sénat avec quelles perspectives ?
 
D’abord pour rencontrer nos homologues  algériens, c’est essentiel que je le fasse, je n’attends pas que cela pour aller en Algérie, vous imaginez bien, mais il est important qu’en tant que sénatrice d’origine algérienne, je fasse aussi cet acte-là, bien que je n’aie jamais coupé le cordon et l’échange entre l’Algérie et Marseille. Ce voyage est là aussi pour voir si les propositions du président Hollande à l’Algérie avancent. Pour moi la question du visa est un vrai problème, ce n’est pas normal que pour les Algériens ce soit un parcours du combattant  pour pouvoir venir visiter leur famille en France.

- Si vous étiez élue maire de Marseille, ville carrefour, quelles seraient vos premières mesures ?
 
Si demain j’étais maire de Marseille, je demanderais dans un premier temps à rencontrer le président de la République et le Premier ministre pour qu’ils m’accordent de l’aide pour Marseille. On ne peut pas donner 30 milliards d’euros à Paris et zéro euro à Marseille. Marseille a vingt ans de retard et il faut qu’elle les rattrape. Ensuite, après ce voyage à Alger avec le groupe d’amitié du Sénat, je ferai un autre voyage pour rencontrer les autorités algériennes. Je n’irai pas avec mon catalogue de La Redoute pour dire «on fait ceci ou cela», ce serait ne pas connaître l’Algérie. Je veux simplement leur dire qu’on a besoin de l’Algérie et l’Algérie a besoin de nous et qu’ensemble nous sommes une force. Il ne faut pas que les responsables algériens oublient qu’il y a des binationaux en France et à Marseille, et qu’ils ont besoin aussi du pays d’origine pour être aidés, du moment qu’ils sont citoyens algériens autant qu’ils sont citoyens français.

- Et pourtant l’extrême droite et une grande partie de la droite française somment les binationaux de choisir ?
 
Il y a les Accords d’Evian et je ne vois pas pourquoi on ne peut pas être Français et fiers de l’être et je pense qu’ils le sont, et avoir des origines qu’on n’a pas envie de renier. Moi, je ne renie pas ce que je suis et pourtant je suis Française jusqu’au bout des ongles. Lorsque Manuel Valls va soutenir l’équipe de football de Barcelone, personne ne dit rien, si demain un député d’origine algérienne va soutenir une équipe algérienne face à une équipe française, je ne suis pas sûre qu’on ne ferait pas la Une des journaux.

- Quelles sont les difficultés auxquelles vous vous heurtez en tant que maire de deux arrondissements difficiles ?
 
Je me rends compte d’abord de l’inertie de la société et de la lourdeur de la bureaucratie qui font que l’on n’arrive pas à faire avancer des projets qui sont parfois simples.  Le mal-logement est une réalité, 37 000 demandes en attente à Marseille, c’est énorme ! La question de l’emploi des jeunes est aujourd’hui enterrée. Marseille a pris trop de retard en matière de transport. Le décrochage scolaire m’inquiète beaucoup. La crise économique, à Marseille, nous la connaissons depuis des années. Une personne sur quatre vit au-dessous du seuil de pauvreté, on a ghettoïsé certains quartiers, le chômage atteint, à certains endroits, des chiffres insupportables. Dans les villes qui se sont développées, la violence est moins présente. A Marseille l’insécurité est une réalité.

- On a assisté récemment à la montée en première ligne de mamans contre l’insécurité dont sont victimes leurs enfants ?
 
Un enfant se fait à deux. Et le fait que ce soit seulement la mère qui soit amenée à réagir ou qu’on la désigne quand cela ne va pas et qu’on occulte le père, c’est un vrai problème de société. Beaucoup de mères n’ont pas fait le choix de se retrouver  seules à élever leurs enfants. Elles subissent souvent cette situation. Beaucoup de pères vont en Algérie pour plusieurs mois et ne s’intéressent pas à l’éducation de leurs enfants. Quand j’ai fait mon appel à l’armée, pendant des mois j’entendais dire «Ah ce n’est pas grave, tant qu’ils se tuent entre eux». Entre eux c’est qui. Ce sont les Arabes, les Noirs. Une vie d’Arabe, de Noir ça ne compte pas ? Ce ne sont pas des règlements de compte, ce sont des  meurtres. Il y a une justice, elle doit fonctionner. Si des jeunes dans les cités sont armés, ces armes de guerre c’est la porte ouverte à tout. Ceux qui sont aujourd’hui dans les cités sont dans la précarité totale, la génération de mes parents a quitté les cités, s’est noyée dans la masse.  

- C’est ce qu’on appelle l’ascenseur social ?
 
Dès qu’on réussit, c’est suspect. Je suis venue des bidonvilles, mais mon travail m’a permis de réussir. Les Algériens, pendant des années, ont eu peur de devenir  propriétaires. La souffrance d’aujourd’hui c’est peut-être celle-là. Pendant des années, en pensant qu’ils allaient être propriétaires en Algérie, ils n’avaient pas besoin d’être propriétaires en France,  ils ont laissé passer une étape de leur vie et peut-être qu’on le paie cher.

- Vous êtes candidate à la mairie de Marseille. Des primaires pour désigner le candidat socialiste auront lieu en octobre prochain. Vous avez bon espoir d’être choisie ?
 
Ma candidature résulte d’un combat que je mène depuis 25 ans, je me suis construite au fil du temps avec mon travail,  je suis sénatrice-maire, j’ai été élue au premier tour dans mon secteur, les 15e et 16e arrondissements, les Marseillais me connaissent, apprécient ma manière d’être, mon franc- parler, du moins c’est ce qu’ils me disent.
Je ne renierai jamais ce que j’étais et ce que je suis, au contraire, c’est ce qui m’anime et qui construit ma vie du futur.
 
Nadjia Bouzeghrane
EL WATAN

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