lundi 13 avril 2015

LE PR CHEMS EDDINE CHITOUR À L'EXPRESSION "Il faut sortir de la rente de façon intelligente"

L'Expression: Vous allez organiser demain la 19e Journée de l'énergie. Une rencontre qui intervient dans un contexte marqué par un débat intense sur le futur énergétique de l'Algérie. Comment se présente cet événement?
Pr Chitour: 
C'est une tradition des élèves ingénieurs de l'Ecole nationale polytechnique de célébrer chaque année le 16 avril «Youm el ilm» depuis une vingtaine d'années. 2015 est aussi l'anniversaire de la première promotion d'ingénieurs de l'Algérie Indépendante sortant de l'Ecole polytechnique. Cette «Journée» qui se fait sous l'égide de monsieur le Premier ministre a pour ambition de faire un plaidoyer pour une transition énergétique multidimensionnelle qui ne peut réussir que si la société entière adhère à cette nouvelle vision du développement durable qui nous recommande une sobriété énergétique qui se traduirait par des économies d'énergie, une utilisation pondérée des énergies fossiles, un plan Marshall des énergies renouvelables, l'objectif étant en définitif de sortir de la rente d'une façon intelligente et du même coup laisser un viatique pour les générations futures.

Le gaz de schiste va certainement occuper une grande partie des débats. Vous n'avez jamais été contre l'exploitation de cette énergie non conventionnelle mais sous condition. Pouvez-vous nous en dire plus?
Le gaz de schiste est une énergie comme une autre. Il faut savoir qu'elle n'est pas génératrice de rente. L'exploitation de cette richesse se fera quand la technologie sera mature, d'ici une dizaine d'années, respectueuse de l'environnement. On parle de l'heptafluoropropane qui pourrait remplacer l'injonction d'énormes quantités d'eau avec des quantités importantes de produits chimiques (0,5%) tout en sachant que la nocivité de ces produits se mesure en ppm. Une autorité indépendante de l'environnement qui travaillerait avec un cahier des charges drastique concernant les précautions garantirait que la nappe phréatique ne serait pas polluée et qu'un traitement approprié serait dévolu aux rejets de boues et produits chimiques. Le gaz de schiste aura toute sa place dans un bouquet énergétique avec les autres énergies fossiles, renouvelables, si on sait y faire, si on prend les précautions nécessaires par la mise en place d'une réglementation drastique, si on forme les compétences dans ce domaine et si enfin, on développe une vieille technologique à même de suivre les meilleures méthodes d'exploitation. L'exploration actuelle devra nous donner toutes les caractéristiques, débits, profondeurs, quantités et type de produits.

La chute des prix du baril de pétrole sera durement ressentie sans un plan d'urgence pour l'économie de l'énergie. Pour le moment, le gouvernement n'a rien décidé. Vous préconisez un plan Marshall. En quoi consiste-t-il exactement?
Ce qui se passe à l'échelle internationale est anormal pour plusieurs raisons. Pendant longtemps les faiseurs de consensus tels que l'AIE, nous disaient que nous avons le peak-oil et que nous sommes sur le déclin. Donc, le prix du pétrole ne fera que croître. Nous avons eu une bulle spéculative à 145 $ le baril en juillet 2008; On saura par la suite que près de 50% étaient dus à la spéculation.
Il n'empêche que le prix du pétrole a chuté d'une façon drastique jusquà 37$ en décembre 2008. Graduellement il a entamé sa phase ascensionnelle jusqu'à juin 2014 et là les stratèges de l'AIE nous parlent de plusieurs facteurs: l'avènement du pétrole de schiste aux Etats-Unis, la croissance au point mort en Europe et même en Chine dans un contexte de saturation. Si on ajoute les manoeuvres diaboliques des rentiers du Golfe avec à leur tête l'Arabie saoudite qui ont été contre tout retrait de la production au sein de l'Opep à la fois disent -ils pour défendre des parts de marché mais surtout pour asphyxier l'Iran et la Russie.
Il est indéniable que les prix ne vont pas remonter rapidement et il est fort probable que l'année 2015 sera celle d'un baril inférieur à 60$. Ce qui est sûr c'est que les investissements pour l'exploration du conventionnel mais surtout pour le non-conventionnel, vont être amortis. On dit qu'un baril à moins de 80 $ pour les pétroles de schiste n'est pas rentable. Quand l'avance prise sera totalement utilisée, il sera nécessaire de refaire monter les prix pour qu'il y ait de nouvelles prospections et exploitation.

Quel modèle énergétique préconisez-vous pour l'Algérie?
Dans toute cette mécanique qui n'a rien de rationnel, l'Algérie ne doit pas lier son avenir aux convulsions erratiques d'un baril de pétrole. Il nous faut sortir de la rente en allant vers le développement durable. Nous avons pour cela une dizaine d'années si on commence dès à présent à mettre en oeuvre cette transition énergétique. Le gouvernement a annoncé début mars un plan énergie renouvelable. C'est une bonne chose dans l'absolu. Pour le réaliser il faut justement un véritable plan Marshall sachant bien que le modèle énergétique est plus large, car il englobe d'abord, un modèle de consommation à différents horizons 2030, 2050. A titre d'exemple, nous serons 55 millions d'habitants, nous consommerons peut-être 2000 kWh/hab/an cela ferait 125 TWh soit trois fois la puissance installée actuelle en électricité. C'est dire la quantité de panneaux solaires, d'éoliennes à mettre en place... Ceci ne concerne que l'électricité, il y a aussi les carburants mais surtout le plus grand gisement qui est celui des économies d'énergie évalué à 20%. En clair on peut économiser l'équivalent de 8 millions de tonnes de pétrole par des gestes éco-citoyens.
Ceci ne peut pas se faire sans vérité des prix. Avec un prix de gazoil à 13DA nous subventionnons les économies des pays voisins pour le gasoil qui coûte six fois plus cher.
De plus il incite au gaspillage. Dans le modèle énergétique que nous proposons des solutions sont proposées pour rationaliser la consommation d'énergie, ceci naturellement en protégeant les classes vulnérables.
Je suis convaincu que la transition énergétique nous impose un changement total de vision de consommation de l'énergie. L'apprentissage de l'éco-citoyenneté est un combat de tous les jours. Il nous faut nous départir de la mentalité du beylek en passant de la situation actuelle où personne n'est concerné à la situation où chacun assume sa part de responsabilité, si on veut qu'il y ait un avenir pour ce pays.
La stratégie énergétique est un invariant, elle devrait faire en sorte qu'elle soit bien expliquée et fasse l'objet d'un consensus qui transcende les clivages, car les faits sont têtus les mêmes causes produisant les mêmes effets. Nous devons prendre les devants dès maintenant. Nous sommes tous comptables devant l'Histoire et les générations futures, nous serons reconnaissants d'avoir pensé à elles en leur laissant une Algérie de
l'intelligence qui tourne le dos définitivement à la rente.
L'expression

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