mardi 2 janvier 2024

Dans les manifestations françaises, une revendication de dignité

  Envoyée spéciale

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Les troubles qui ont embrasé des villes à travers la France ont pris la forme de l'une des manifestations de justice sociale les plus importantes du pays depuis des années, voire des décennies.

Pendant plus de six jours, de nombreux Français se sont endormis sous les sirènes, les coups de feu et les feux d'artifice, et se sont réveillés avec des voitures carbonisées, des magasins pillés, des mairies et des écoles incendiées. Les maisons des maires ont été attaquées. 

Tout le monde, des politiciens aux footballeurs français, a appelé au calme. Le gouvernement a déployé 45 000 policiers chaque nuit depuis vendredi pour réprimer la violence.

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Une histoire centrée sur

Des manifestations et des émeutes ont éclaté dans toute la France après que la police a tué un adolescent d'une communauté immigrée la semaine dernière. Les troubles ont été un point de basculement pour les groupes minoritaires de France, qui se sont longtemps sentis poussés à la marge.

Lundi, les émeutes avaient largement diminué. Pourtant, un message de trois mots griffonné sur les murs à travers le pays pointe vers une colère qui n'a pas existé : justice pour Nahel.

Nahel, un adolescent franco-algérien dont le nom de famille n'a pas été rendu public, avait 17 ans lorsqu'il a été tué par un policier mardi dernier lors d'un contrôle routier. L'interaction a été filmée par un spectateur et a depuis apporté un jugement à l'échelle nationale.

Il s'agit d'une loi de 2017 qui donne aux policiers une plus grande autorité pour recourir à la force. Les militants disent que cela a considérablement augmenté le nombre de fusillades mortelles lors des arrêts de la circulation. Plus largement, la mort de Nahel est la dernière d'une série de points d'éclair allumés par des allégations de racisme endémique dans la société française contre les minorités ethniques. En particulier dans les banlieues mal desservies de Paris connues sous le nom de  banlieues , les groupes minoritaires et les immigrés se sont longtemps sentis marginalisés et discriminés par l'État. Les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel ont porté un message clair, en particulier parmi les jeunes français : pas plus.

« La dignité est vraiment au cœur de ce qui se passe », explique Mounira Chatti, professeur à l'Université Bordeaux Montaigne qui étudie l'intégration. « En ce moment, ces jeunes se sentent discriminés à l'école, au travail. ... Ils sont victimes de profilage racial par la police.

« Si nous voulons sortir de cette situation, le gouvernement doit envoyer un signal très fort aux jeunes issus de l'immigration : vous appartenez à ce pays ; vous avez votre place ici.

 

Échos du passé

De nombreux observateurs ont comparé la situation à 2005, lorsque deux adolescents ont été électrocutés alors qu'ils se cachaient de la police dans une sous-station électrique de la banlieue parisienne de Clichy-sous-Bois. Leur mort a déclenché une vague d'émeutes qui a duré trois semaines et coûté à l'État environ 200 millions d'euros (218 millions de dollars).

Pour ceux des banlieues immigrées , la mort de Nahel indique un manque marqué de progrès.

« Depuis 2005, rien n'a changé ! La police cible toujours nos enfants dans les banlieues . C'est intolérable », déplore Laurence Bedé, franco-algérienne mère de trois filles vivant dans une banlieue proche de Nanterre, où elle est venue assister à une marche pour Nahel jeudi dernier.

« Nous en avons marre », dit sa fille adolescente Maissane, fondant en larmes. "Nous voulons juste qu'on nous donne une chance."

Le gouvernement français a nié le racisme dans sa police. Mais un rapport de janvier 2017 de Jacques Toubon, défenseur indépendant des droits de l'homme en France, a montré que les hommes maghrébins et noirs étaient 20 fois plus susceptibles d'être arrêtés par la police que le reste de la population.

En février 2017, en réponse à la pression du public pour qu'il paraisse dur face au crime et au terrorisme, le gouvernement a adopté une loi offrant aux policiers plus de droits d'utiliser leurs armes de service. Auparavant, la police devait justifier la légitime défense. La nouvelle loi leur permet de tirer sur les automobilistes qu'ils considèrent comme une menace potentielle pour le grand public.

Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a déclaré que la loi n'avait pas affecté le comportement des officiers. Mais les données compilées par les chercheurs montrent que les fusillades mortelles lors des contrôles routiers ont été multipliées par six depuis 2017. Rien qu'en 2022, 13 fusillades mortelles ont été enregistrées – un nombre inouï en France – dont trois cette année. Ces chiffres sont indépendants de toute augmentation globale de la criminalité.

"Nous avons constaté un effet massif et incontestable de la loi de 2017", déclare Sebastian Roché, expert policier au Centre national de la recherche scientifique, qui faisait partie de l'équipe de recherche sur les violences policières.

La loi a été votée le 28 février 2017 et dans l'année qui a suivi, cinq automobilistes ont été tués par la police, raconte M. Roché. Au cours des cinq années précédentes, ce nombre était de zéro.

"C'étaient les mêmes policiers avec les mêmes armes", ajoute M. Roché. "La seule chose qui a changé, c'est la loi."

Les responsables du syndicat de la police française n'ont pas pu être joints pour commenter, mais M. Roché affirme que la loi ne laisse pas de temps pour la formation. Et il pointe d'autres tendances préoccupantes au sein de la police française. Indépendamment de la loi de 2017, un rapport de 2022 de l'auditeur public français, la Cour des comptes, a montré que 40% des officiers n'avaient pas suivi leur formation de base au tir requise.

Les racines de la méfiance

Les groupes minoritaires des banlieues expriment depuis longtemps une profonde méfiance à l'égard de la police. L'officier qui a tiré sur Nahel a d'abord suggéré que l'adolescent se dirigeait vers lui, posant une menace immédiate. Mais la vidéo publiée en ligne le montrait en train d'interroger Nahel à la fenêtre du côté conducteur avant que Nahel ne s'enfuie. L'agent a depuis été inculpé d'homicide volontaire.


Cara Anna/AP
 
 

« La vidéo est un élément très important dans tout cela. Normalement, vous avez plusieurs versions d’événements qui se contredisent, mais avec cet incident, ce n’était pas possible », explique Julien Talpin, sociologue au Centre national de la recherche scientifique. « Cela a laissé l'indignation de s'édifier. Les jeunes dans les banlieues en difficulté ont déjà l'impression que la police tue et mensonge, mais maintenant elles en ont la preuve. »

Cette méfiance est en train de s'ébuller.

« Ces jeunes émeutes ont vu leurs parents, leurs frères et sœurs plus âgés faire l’objet de discriminations à maintes reprises, et ils en ont assez », explique Naima Iratni, présidente de la Maison d’Algérie, une organisation à but non lucratif basée à Paris qui promeut la coopération entre les jeunes en France et en Algérie. « Cette génération – elle a entre 14 et 18 ans – dit : « Arrêtez. Ils ne l'accepteront plus. »

Mme. Iratni dit qu'une grande partie de la discrimination à l'encontre des jeunes d'Afrique du Nord et d'Afrique subsaharienne de deuxième et de troisième génération est le résultat de l'incapacité de la France à se débarrasser des voies coloniales : « Maintenant, le colonisateur colonise chez lui plutôt qu'à l'étranger. »

Objets, pas sujets

De nombreuses études ont montré que les groupes de minorités visibles sont confrontés à plus de discrimination dans les écoles françaises que les autres élèves, discrimination qui les suit sur le lieu de travail. Une étude de 2020 a révélé que les candidats portant des noms arabes avaient 25 % moins de chances d'obtenir une réponse positive lors d'une recherche d'emploi.

 

« Ces jeunes Arabes et Noirs sont toujours l’objet du discours public et non les sujets », explique Mme. Chatti. « Ce dont ces jeunes ont besoin à l’heure actuelle, ce sont des intermédiaires qui peuvent raisonner avec eux. Ils ne veulent pas écouter le gouvernement ».

La France a dû faire face périodiquement à de telles questions existentielles sur l'identité et l'intégration nationales. En 2018, l’ancien ministre centriste Jean-Louis Borloo a produit un rapport ambitieux de 60 pages sur la manière de restructurer et de revitaliser les banlieues en difficulté de France. Mais le rapport a été largement ignoré, et de nombreux experts disent que les troubles d'aujourd'hui ont un lien direct avec l'échec du gouvernement à mettre en œuvre M. Les recommandations de Borloo. 

Jeudi, les hommes politiques du parti d'extrême-gauche La France Insoumise ont proposé une première étape différente. Ils ont présenté des projets de loi qui aboliraient la loi policière de 2017 et, peut-être, fourniraient un sens de la justice.

« Je regarde ce qui est arrivé à Nahel et je pense qu’il aurait pu être mon petit frère », explique Ben Abdallah Adem, un adolescent de la banlieue parisienne. « Il n’y a plus de respect quand il s’agit de la manière dont la police nous traite. Quand ils nous arrêtent, c'est plus dur que jamais. Je veux juste que la police offre un sentiment de protection. Nous ne devrions pas avoir peur de ceux-ci ».

Source :

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