mardi 13 septembre 2011


Entretien avec Mme Dalila Nadjem, commissaire du Festival international de la bande dessinée d’Alger : «La rencontre a gagné en professionnalisme»

Les bédéistes et autres amoureux des bulles se donnent rendez-vous du 5 au 8 octobre sur l’esplanade de Riadh El Feth, à Alger
Les bédéistes et autres amoureux des bulles se donnent rendez-vous du 5 au 8 octobre sur l’esplanade de Riadh El Feth, à Alger. Ce sera une opportunité pour les auteurs de BD, nationaux et étrangers, de se confronter, dans un cadre convivial, celui d’un festival vivant, dynamique qui ne cesse de s’affirmer d’année en année. Le programme comprend, outre les concours de l’affiche, des jeunes talents et des œuvres achevées, des expositions, des conférences, des ateliers et des hommages.  Mme Dalila Nadjem, commissaire du festival,  nous restitue dans cet entretien les grandes lignes de cette importante manifestation culturelle, les ambitions qui l’animent et ses perspectives d’avenir.
Pourquoi un festival international de la bande dessinée à Alger ?
Le festival a été créé par décret présidentiel. Il fait partie de toute la panoplie de manifestations culturelles qui existent déjà. Au départ, nos moyens étaient limités.  Mais on a réussi quand  même dans cette première année à faire venir de grands noms de la BD,  tout en ciblant prioritairement le continent africain.

Pourquoi l’Afrique précisément ?
Parce qu’on voulait faire de ce festival une passerelle entre l’Occident et l’Afrique. Je dois vous préciser qu’il existe beaucoup de bédéistes en Afrique. Mais ils ont du mal à émerger, à se faire éditer. La plupart d’entre eux font un travail avec des idées personnelles, mais ils n’arrivent pas à se faire éditer en Europe.
Maintenant, avec cette quatrième édition, il faut dire que l’Algérie est pionnière dans ce domaine au  Maghreb et en Afrique. Aujourd’hui, nous avons réussi à faire renaître cette bande dessinée avec ses bédéistes et, cette année, il va y avoir cinq anciens bédéistes qui vont présenter leurs œuvres.
Quel regard portez-vous sur le neuvième art en Algérie ?
Franchement, c’est un art que j’ai sous-estimé avant. En m’occupant du festival je me suis rendue compte que j’avais commis une grosse erreur et je ne suis pas la seule d’ailleurs. C’est un art qui est reconnu, surtout par la nouvelle génération. A titre d’exemple, la troisième édition avait donné lieu à de gros progrès. Les participants se sont améliorés et professionnalisés. Pour la présente édition, nous avons décidé d’utiliser une partie du budget pour former ces jeunes. Donc, nous avons lancé un appel à tous ceux qui souhaiteraient faire cette formation confiée à un Belge qui va animer des sessions au niveau de l’Ecole des Beaux-Arts. C'est-à-dire que pour ce quatrième festival,  ils seront présents avec la réalisation d’un nouvel album collectif de haute facture. Donc, ce qui, au début, était une entreprise truffée de lacunes, a gagné en professionnalisme. Tout a été entrepris pour la réussite du festival.   
Vous en êtes à la quatrième édition, quel bilan en tirez-vous ?
Durant la première édition, il y avait à peu près 80 participants provenant de 26 pays. La troisième édition a permis de faire participer 41 pays et une pléiade de jeunes qui varie entre 100 à 120. La progression est constante.                                                                                                                                                                                                          
Quelles sont les nouveautés apportées à cette édition ?
Il va y avoir des expositions d’œuvres originales pour la deuxième année consécutive d’auteurs algériens et étrangers, une formation de 25 jeunes talents qui deviennent professionnels, une présentation à l’honneur des comics. La participation de grandes figures de la BD, de grosses pointures qui viennent sans hésiter.  Il y aura des conférences avec des thèmes très pertinents, des ateliers dont deux professionnels, un pour le film d’animation et l’autre pour le scénario, chose qui n’a jamais été faite avant.
Qu’en est-il des thèmes, des concours et des conférences ?
 Nous n’avons jamais imposé un thème. La seule chose que nous essayons de faire, c’est que tous les ans, nous lançons un slogan ; à titre d’exemple, cette année ce sera,  « Alger bulles sans frontière ».
Pourquoi ce slogan ?
C’est pour vivre un moment autour d’un art. Pour moi, tout cela a une valeur inestimable. Tout ce monde-là sur cette placette d’Alger, pendant quatre ou cinq jours, partagera cette passion, défendra des idées ; la bande dessinée n’a  pas de frontières.
Quel est l’objectif de ce  festival ?
Notre principal objectif est l’instauration de la culture de la paix. Je peux vous dire que le slogan est le fil conducteur de cette pensée. Cette année,  nous avons des jeunes qui traitent des thèmes très durs, qui relèvent parfois des tabous comme la violence conjugale. Ils veulent avoir une bonne compréhension de cette jeunesse, une bonne écoute. C’est une façon de se  faire entendre,  d’exprimer des choses  à travers les écrits et les dessins. D’autre part, le festival permet aussi la création d’emplois temporaires.
Peut-on savoir quel est le but des concours ?
Il va y avoir le concours espace scolaire de 12 à 17 ans, puis le concours des jeunes talents de 18 à 35 ans, et puis les professionnels qui ont été déjà édités ou qui souhaitent se faire éditer. Pour cette quatrième édition, les concours permettent de réaliser une œuvre, de s’exprimer et de lancer des messages.
Qu’est-ce qu’il y aura après ces concours ?
Les lauréats seront aidés pour continuer à créer. On leur assure une  rémunération qui leur permettra de travailler, de s’insérer dans la vie sociale et d’être reconnus.
Peut-on affirmer que ce festival participe à la relance du neuvième art ?
Nous avons atteint pas mal d’objectifs : d’abord, les anciens bédéistes  sont reconnus ; ils se sont remis au travail, ils produisent à nouveau. Les   jeunes sont valorisés. De plus, il ne faut pas oublier  que la bande dessinée,  c’est une industrie. Il faut aussi parler du point de vue économique. Cela fait travailler les imprimeries, les éditeurs, les libraires, créer aussi le lectorat ;  toute une industrie se met en place.  Des éditeurs nouveaux s’ajoutent à l’Enag, Zlik, Labter, Dar El Imen. Aujourd’hui, il y a sept nouveaux éditeurs qui contribuent à augmenter le lectorat.
Parlez-nous de l’investissement dans ce domaine, précisément du marché de l’édition ?
Au début, il y avait beaucoup d’hésitation de la part des éditeurs. Je ne veux pas que le festival d’Alger soit un festival d’éditeurs et un lieu de commerce. Je ne veux pas qu’il soit comme celui d’Angoulême où de grands éditeurs viennent pour installer leur chapiteau et faire de grands chiffres d’affaires. Notre objectif, c’est la rencontre de tous ces auteurs, sur cet espace de Riadh El Feth. Pour ce qui est des éditeurs participants, ce sont nos éditeurs nationaux. Nous leur cédons les espaces gratuitement pour créer l’événement. C’est le vrai investissement que nous visons.
Y a-t-il un investissement étranger ?
Non, pas pour le moment. La seule chose que nous avons, c’est une librairie internationale qui appartient au FIBDA. Nous achetons des livres chez les éditeurs étrangers et nous les mettons à la disposition du public. Le seul investissement que nous pouvons avoir des pays étrangers, ce sont les dons. Je citerai le cas de la Suisse qui nous fait un don de livres qui seront destinés à la bibliothèque du FIBDA. Les Français nous offrent une exposition des œuvres originales. On souhaite plutôt un partenariat.
Parlons du public...
Pour la BD,  c’est quand même un public particulier. Il y a toujours des curieux, mais généralement notre public est assez «spécial», ce sont des mordus de la  bande dessinée,  de vrais fans.
Qu’en est-il des prix et autres distinctions ?
L’édition se fait dans les deux langues, arabe et français. Pour les prix, il va y avoir le premier prix d’un montant de 200 000 DA, le deuxième prix est de 180 000 DA. Plusieurs pays y prennent part : la France,  la Serbie, l’Arménie, des pays africains, la Belgique, l’Espagne, l’Algérie... Puisque le festival est connu maintenant à l’échelle internationale, nous avons créé des prix divers. 
Pourquoi un jury national et un autre international ?
Le jury national se compose de bédéistes chevronnés comme Haroun, président du jury, Assad Si El Hachemi, qui est diplômé en master cinéma et en sociologie culturelle de l’Université d’Alger, Rachida Azdaou, Saïd Zanoun, Achour Cheurfi, écrivain et journaliste professionnel, Mustapha Tenani, bédéiste caricaturiste. Il faut au moins arriver à la 6e ou à la 7e édition pour prétendre avoir un jury international pour les candidats nationaux.  Pour le concours des jeunes talents, le jury délibérera le 14 septembre. Il jugera la cohérence de l’histoire, le respect des normes de la bande dessinée. Cette année, le jury est appelé à faire des commentaires sur chaque  concours. Pour ce qui est du jury international, on a Mahfoud Aider, dessinateur de presse, auteur de bandes dessinées, Thierry Bellefroid (Belgique), Francis Groux (France),  Hic et Omar Zelig (Algérie), Lahsen Bakhti (Maroc) et Hilaire Mbiye (Congo).
Des hommages seront rendus lors de cette édition à Aider, Francis Groux et le défunt Brahim Guerroui. Parlez-nous de ces hommages ?
Nous avons tenu à rendre hommage à Brahim Guerroui à titre posthume, parce que c’était un grand bédéiste, un dessinateur, caricaturiste de presse et dessinateur pour enfants. Il est mort dans d’atroces conditions ; donc, c’est tout à fait légitime de lui rendre un hommage. Il y a également Aider,  qui est aussi un ancien. Nous avons Francis Groux qui est le fondateur du festival d’Angoulême. Francis Groux a été avec nous depuis la deuxième édition. Il a cautionné le festival d’Alger à l’échelle internationale.
Qu’espérez-vous de ce festival ?
Je souhaite que l’Algérie soit à l’honneur, de faire participer les  jeunes en tant qu’auteurs dans d’autres pays. Il est impératif pour nous que le FIBDA dispose d’une maison de la bande dessinée, un lieu où seront organisées régulièrement des expositions, des rencontres, des résidences d’écriture… En bref, un musée dédié au  neuvième art.  
Entretien réalisé
par Kafia Aït Allouache

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