vendredi 23 novembre 2012

Nadir Dendoune : Né de parents algériens, ce fils de la banlieue parisienne s’en est allé planter deux drapeaux au sommet de l’Everest : celui de la France et celui de l’Algérie.


Nadir Dendoune est né il y a trente-huit ans en banlieue parisienne.
Nadir Dendoune possède trois passeports : un français, un algérien et un australien. Il est né à Saint-Denis, « là où sont enterrés les rois de France ». Il a gravi la plus haute montagne du monde, mais fait face au jour le jour à un autre Everest : trouver sa place dans la société française. Comment Nadir Dendoune a-t-il réussi son ascension de l’Everest, en 2008 ? Il raconte tout, avec humour et beaucoup de sentiments, dans son dernier livre, Un tocard sur le toit du monde (éd. JC Lattès). Une aventure qui a commencé par susciter la suspicion… « Quand je suis arrivé là-haut, j’ai planté les drapeaux français et algérien. J’ai aussi déplié un carton avec écrit “93”, le numéro du département qui m’a vu naître. Libération a écrit un article sur moi, puis je suis passé dans Sept à huit, sur TF1. Je me suis rendu compte que les journalistes, au départ, ne croyaient pas à mon histoire. Mais c’est tellement gros que tu ne peux pas inventer ! » dit-il, précisant aussitôt qu’il dispose tout de même d’un certificat officiel népalais…

« Avec ce défi, j’ai été là où personne ne m’attendait… Ça m’a complètement décomplexé ! J’ai grandi dans la politique de l’échec. Pendant trente ans, j’ai reproduit un discours de victimisation. C’est vrai qu’on est né du mauvais côté du périph, mais il faut changer ça ! Les barrières, on s’en met beaucoup nous-mêmes… Je veux dire aux gamins des cités : on peut réussir, même si, pour ça, il faut mentir, transgresser. » Mentir, c’est ce qu’il a fait avant l’expédition. Parti sans entraînement particulier, avec une paire de chaussures achetée en urgence au Vieux Campeur, il s’invente un CV de grimpeur – mont Blanc, Kilimandjaro – pour avoir le droit de chausser les crampons spécial glaciers. « Pendant la redescente, j’ai vécu les huit plus beaux jours de ma vie. Je pleurais de joie en me disant “j’ai réussi”. J’ai mis quatre mois à récupérer physiquement. C’était exceptionnel mais je ne suis pas exceptionnel. J’ai juste mis un pied devant l’autre. »

Transgresser, Nadir Dendoune l’a toujours fait. Par nécessité. Ses parents sont algériens, le père est ouvrier, arrivé en France en 1950, et la famille compte neuf enfants. Nadir est le cadet. « Neuf Français ! C’est la France qui devrait nous dire merci et donner la légion d’honneur à ma mère », rigole-t-il. Après une enfance « super heureuse », l’adolescence est chaotique. « Jusqu’au CM2, j’étais avec des fils de médecins et de profs à l’école, il y avait une vraie mixité. Mais au collège, ils ont tous demandé une dérogation. On est restés entre gars de classes dangereuses. En sixième, mes potes avaient trois ou quatre ans de plus que moi… je les ai suivis. » En 1989, quelques mois avant le bac, il est impliqué dans une bagarre. Sentence : deux semaines de prison. « Je n’ai pas honte de cette période. Mais je me suis rendu compte que j’aurais pu devenir un caïd. J’ai grandi dans un univers violent auquel ne s’attendaient pas mes parents quand ils sont venus en France. Les coups, la drogue dure qui circule dans les cités, le chômage et l’absence d’avenir. »

Ensuite, l’histoire prend des allures de roman d’aventures. Nadir Dendoune « dérouille », selon le terme de l’homme politique et écrivain Azouz Begag. Grâce à ses années d’entraînement sportif en athlétisme, il a l’opportunité de passer un diplôme au Racing Club de France, l’équivalent d’un bac+2 en communication commerciale, puis il s’inscrit en deug de communication à Paris-XIII-Villetaneuse. L’envie d’ailleurs le démange : en 1993, avec son meilleur ami, il organise un tour d’Australie à vélo. « C’est là-bas que je me suis senti pleinement français. J’ai changé le regard que j’avais sur moi-même. J’ai été gaulois pendant trois mois. À mon retour, le ciel m’est tombé sur la tête. J’étais toujours “issu de l’immigration”. J’ai terminé la fac et, en août 1994, j’étais reparti. » Il vit en Australie jusqu’en 2001. Il est successivement conducteur de bus sans permis (encore la triche…), ouvreur, prof de sport, cuisinier. « Pour fêter ma nationalité australienne et faire plus de bruit contre le sida, j’ai accompli un tour du monde à vélo, Sydney-Paris, en partenariat avec la Croix-Rouge australienne. Le 21 avril 2002, j’étais en Allemagne. C’était l’élection présidentielle en France et j’ai vu la tronche de Le Pen à la télé. Moi qui m’étais réconcilié avec la France, je me suis dit “Quel beau comité d’accueil !” Mon pays n’avait pas changé. Les boules. J’ai foncé pour rentrer et voter au second tour. » Il débarque à Paris, mais pas pour longtemps.

En 2003, il part en Irak, pour y devenir bouclier humain. « Pendant cette guerre, j’ai perdu mon côté fleur bleue. J’ai dû ramasser des corps. J’en ai vomi. L’odeur des cadavres me revient parfois… » Pour exorciser, il envoie des mails et raconte son expérience. À son retour, il les publie. Son premier livre s’appelle Journal de guerre d’un pacifiste et sort en 2005. Entre-temps, il décroche la bourse Julien-Prunet, qui offre une place par an au Centre de formation des journalistes à un candidat au parcours dit « atypique ». Sa tchatche et son parcours détonnent, étonnent. « J’ai beaucoup appris de mes camarades de classe, et ils ont beaucoup appris de moi. J’étais le seul mec des cités. Ça m’a donné les armes pour me défendre et ça m’a ouvert des portes. » Nadir Dendoune est aujourd’hui journaliste reporter d’images indépendant. Il aime dire que, grâce à son travail à France 3, il connaît « mieux la France que n’importe qui ».

C’est peut-être pour cela que les phrases à l’emporte-pièce de Nicolas Sarkozy le hérissent tant. Et qu’il a écrit en 2007 Lettre ouverte à un fils d’immigré, directement adressé au président. Et qu’il a été le fer de lance de la Journée sans immigrés, le 1er mars dernier. « “La France tu l’aimes ou tu la quittes”, ça a été la goutte d’eau. Je ne l’ai pas supporté. J’en veux à Nicolas Sarkozy d’avoir apporté les idées lepénistes au plus haut niveau de l’État. Demain, si je me marie avec une Française, notre enfant sera encore considéré comme issu de l’immigration. Beaucoup ne veulent pas nous imaginer en Pierre-Paul-Jacques. Ça ne viendrait à l’idée de personne de dire de Sarkozy qu’il est de la deuxième génération… La francitude, ce n’est pas aller à la messe et manger du porc. À force de m’entendre refuser ma différence, je vais vers cette différence… Quand j’étais gamin, j’avais honte de ma deuxième identité. La France ne te permet pas d’être français et algérien. Il faut que je me coupe une jambe ? Planter le drapeau algérien en haut de l’Everest, c’était pour rendre hommage au parcours de mes parents. Là-haut, j’ai réconcilié mes deux identités. » Réconcilié, apaisé, décomplexé… Quel sera, demain, le nouveau défi de Nadir Dendoune ? « Je ne peux pas aller plus haut, répond-il, malicieux. Je suis fier de dire que je suis de la banlieue. Et que je suis un aventurier. »

Bio express :
7 octobre 1972
Naissance à Saint-Denis
Septembre 2001-avril 2002
Tour du monde contre le sida, à bicyclette
Mars 2003
Bouclier humain à Bagdad
25 mai 2008
Atteint le sommet de l’Everest
1er mars 2010
Journée sans immigrés en France
19 mai 2010
Sortie du livre Un tocard sur le toit du monde (JC Lattès)


 Jeuneafrique

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