mardi 6 mars 2012

L’emploi provisoire a supplanté le travail permanent quand le modèle de croissance favorise la précarité


Du Plan d’emploi des jeunes (PEJ) en 1988 aux différents dispositifs d’aide à l’investissement (Ansej, CNAC, Angem), en passant par les programmes d’insertion professionnelle des jeunes et des primo-demandeurs, l’Etat a dépensé beaucoup d’argent pour créer de l’emploi depuis plus d’une décennie. 

Mais si effectivement le taux de chômage a été ramené à 10%, des interrogations persistent néanmoins sur la qualité de ces emplois. Une enquête publiée par l’Office national des statistiques (ONS) en février 2011démontrait qu’un tiers de la population occupée était constitué de salariés non permanents et plus de 80% de ceux qui sont au chômage étaient des salariés non permanents contre 8% de permanents.Dans une thèse consacrée au «Traitement du chômage en Algérie», le sociologue Nacer Abbaci note que les mesures mises en place par l’Etat pour créer de l’emploi ont un caractère «palliatif et précaire, aucun ne vise à traiter le problème du chômage à la racine».
Le président du Forum des chefs d’entreprises, Reda Hamiani, a estimé dans l’une de ses déclarations médiatiques que les dispositifs Ansej et CNAC ont «montré leurs limites à travers le taux élevé de la mortalité des entreprises créées» que quelques experts nationaux ont évalué à 50%.  Mais si l’ensemble des mesures prises a accentué la précarité de l’emploi, cela ne relève pas de la politique de l’emploi elle-même, mais s’inscrit dans un cadre économique beaucoup plus global. Pour certains économistes, le modèle de croissance économique choisi par l’Algérie et de ce fait, la politique de l’emploi mise en œuvre dans ce cadre aurait difficilement pu donner d’autres résultats.
«Dans la logique qui est celle de la relance de la croissance économique par la dépense publique, la politique de l’emploi ne peut guère changer, elle demeurera  celle de la création d’emplois d’attente financée par le budget de l’Etat», estime Kouider Boutaleb, professeur d’économie à l’université d’Oran. En matière d’investissement, l’effort engagé depuis le début des années 2000, pour rattraper le retard en matière d’infrastructures et de logement, a boosté le secteur des travaux publics et de la construction et avec eux l’emploi. Il était donc attendu que le chômage baisse, mais il est à craindre un retour de manivelle une fois ces chantiers achevés. Selon la dernière enquête de l’ONS, plus de 26% de ceux qui ont perdu leur emploi travaillent dans le secteur du BTP, soit le deuxième secteur pourvoyeur de chômeurs après le commerce et les services (29%).
Approches concertées
D’un autre côté, les dispositifs d’insertion professionnels témoignent de politiques «passives» du fait que les bénéficiaires sont «dans une perpétuelle situation d’attente», souligne M. Boutaleb. «Le passage en contrat d’emploi temporaire ne doit être qu’un moment court et qu’un élément d’une action plus large d’appui à l’insertion définitive», soutient l’économiste pour qui les mesures adoptées par le gouvernement dans le domaine de l’emploi des jeunes relèvent plus d’un «traitement social du chômage» que d’une véritable politique de l’emploi.
Un rapport de la Banque Mondiale avait déjà relevé il y a quelques mois la fébrilité de la politique nationale de l’emploi avec une tendance à la domination «du salariat non permanent», en relevant notamment que le principe des contrats à durée déterminée s’est généralisé dans le secteur privé, sans épargner le secteur public. Aujourd’hui, plus d’un tiers (36%) de ceux qui ont perdu leur emploi étaient arrivés en fin de contrat, selon l’enquête de l’ONS. C’est de loin la première cause de perte d’emploi. La précarité de l’emploi est devenue une constante puisque selon la Banque, la proportion des emplois non permanents a sensiblement augmenté entre 2003 et 2010 au détriment de l’emploi permanent. Ce qui fait dire à M. Boutaleb que «les dispositifs d’insertion ont atteint leurs limites».
Pour autant, cette situation ne doit pas, selon l’économiste, signifier la fin de l’intervention de l’Etat qui «demeure au contraire indispensable», même si on peut lui reprocher «le manque de rationalité dans la conduite de sa politique d’intervention à travers des mécanismes qui ne sont guère évalués quant à leur efficience». Il gagnerait donc à inscrire sa démarche dans le cadre d’«approches concertées (notamment avec les universités et les centres de formation professionnelle), bien ciblées (secteurs d’activité par secteur d’activité, wilaya par wilaya), évaluées (un suivi régulier dans le cadre d’une gouvernance fondée sur la reddition des comptes) et avec une transparence institutionnalisée (publication des rapports d’évaluation et non des rapports d’activité)».             
 
Safia Berkouk

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