dimanche 22 juillet 2012

Le mois sacré vu par... Le professeur M’hamed Benredouane Ce qu’il faut vraiment savoir


Le professeur M’hamed Benredouane, chef de l’unité consultation de dermatologie au CHU Mustapha-Pacha à Alger, ex-ministre des Affaires religieuses dans le gouvernement de Sid- Ahmed Ghozali, est actuellement président du conseil scientifique et vice-président de la fondation Émir- Abdelkader. Il est aussi présentateur d’émissions religieuses à la télévision algérienne (Canal Algérie et TV Coran).
Dites nous, Professeur, c’est quoi le jeûne en Islam ?
Même s’il est connu mondialement comme étant une privation volontaire d’alimentation, il est différent d’une société à une autre. Comme vous m’offrez l’occasion, je vais en profiter pour l’expliquer, et à vos lecteurs musulmans et à ceux qui vous lisent en dehors du pays et qui ne le sont probablement pas. Tout d’abord, c’est une privation volontaire d’alimentation du crépuscule au coucher du soleil, qui dure 29 à 30 jours. C’est selon le mois lunaire. Ensuite, le nombre d’heures de jeûne varie au cours des années. Comme l’année lunaire est plus courte que l’année solaire, ce mois va naviguer entre l’été, le printemps, l’hiver et l’automne. Enfin, cette pratique religieuse ne concerne que les individus pubères. Les enfants ne sont pas concernés. Les voyageurs aussi, à moins qu’ils veuillent réaliser ce jeûne pour ne pas avoir à le rattraper plus tard. Il ne concerne pas enfin les malades où ceux qui ont des maladies incompatibles avec le jeûne
Par exemple…
Vous avez l’insuffisance rénale chronique. Les gens qui ont des reins qui ne fonctionnent pas de manière adéquate ou qui ne fonctionnent pas du tout. Ils doivent prendre des médicaments et des liquides d’une manière régulière. S’ils jeûnent pendant l’été, ils risquent une déshydratation et un déséquilibre au niveau du sang. Nous avons deux cas de figure. Soit, ils sont dans un état qui leur permet de jeûner et dans ce cas, on va équilibrer les apports pendant la nuit. Dans la Sunna du Prophète (qsssl), il est recommandé de retarder au maximum le dernier repas de la nuit qu’on appelle le s’hor. Et, bien sûr, entre ce repas et le f’tour, le malade doit boire abondamment. Soit, leur maladie est dans un état avancé. Dans ce cas, ils doivent suivre les avis de leurs médecins traitants, c’est-à-dire ne pas jeûner. Autres exemples : ceux qui souffrent d’insuffisances hépatiques sévères, ceux qui présentent des maladies infectieuses sévères ou des cancers. Dans ces cas, il faut privilégier le traitement au jeûne. Et puis vous avez le diabète. Mais contrairement à ce que croient beaucoup, il y a deux formes de diabète. Le « gras » qui est traité entre autres par le jeûne, et le « maigre » qu’on dit insulino-dépendant. Des études modernes ont montré sur de longues périodes que le jeûne n’est pas permis pour les insulino-dépendants. La raison est simple. Il y a des risques immédiats dont l’hypoglycémie, c’est-à-dire qu’ils peuvent tomber dans le coma. Il y a d’autres risques qui ne se montrent pas tout de suite mais qui s’installent de manière cachée. Ces risques n’apparaissent qu’au bout de 10, 15, 20 ans. Il y a un consensus au niveau des médecins, surtout des médecins musulmans : le diabétique qui prend de l’insuline ne doit pas jeûner. Pour le malade atteint de diabète gras, c’est le contraire, il doit « jeûner » pour améliorer son état de santé. Cela dit, dans la plupart des maladies, le jeûne améliore l’état du malade. Lorsqu’il mange moins, le malade jouit d’un meilleur état de santé.
Et les diabétiques qui prennent des médicaments ? 
Il existe maintenant des médicaments qu’on appelle LP : libération prolongée. C’est-à-dire qu’au lieu de prendre un médicament plusieurs fois dans la journée, on le prend une ou deux fois. Vous avez aussi le médicament qui reste dans les intestins pour une durée de 24 heures. On peut parfaitement gérer en ne prenant qu’une fois son traitement.
Et les personnes âgées, professeur, doivent elles jeûner ? 
La vieillesse est variable d’une personne à une autre. Il y a des gens qui gardent un parfait état de santé à 90 ans alors que d’autres sont vieux à 60 ans. On ne peut pas donner un âge pour la vieillesse. Mais d’une manière globale une vieille personne, homme ou femme, est celle qui n’a plus ses capacités mentales. Une personne qui est atteinte d’Alzheimer ne peut jeûner. Maintenant, les vieilles personnes, hommes ou femmes, conscientes et lucides, si elles sont dans un état physique qui ne leur permet pas de jeûner, elles ne doivent pas le faire. Si leurs enfants constatent que le jeûne les fatigue énormément, ils on le devoir et pas seulement le droit de les obliger à ne pas jeûner, pour leur éviter de tomber éventuellement dans un coma.
Que faut-il faire pour les adolescents menus et faibles ? 
Le jeûne devient obligatoire à la puberté, c’est-à-dire à 12, 13 ou 14 ans. Si l’adolescent est maigre mais son état de santé est bon, il peut jeûner normalement. S’il est malade, il faut s’inquiéter pour lui avant le mois de Ramadhan et l’emmener chez un médecin.
Et avec les enfants très jeunes qui insistent pour jeûner ? 
Il ne faut jamais obliger un enfant à jeûner avant la puberté, d’abord parce que Dieu ne le lui a pas demandé. S’il a la volonté de jeûner, ne lui dites pas non. Vous pouvez lui dire qu’il peur manger à midi ou bien le laisser. C’est lui-même qui va demander à manger. Il faut l’accompagner en lui disant : « Voilà, tu as très bien fait de jeûner pendant la moitié de la journée. Une fois que tu auras le double de ton âge tu feras toute la journée  ». Vous pouvez aussi le laisser reprendre son jeûne après avoir mangé. Mais si vous voyez qu’il faiblit, qu’il n’arrive plus à jouer, qu’il n’arrive plus à parler, qu’il somnole, ne lui dites pas : « Il reste une heure ou deux pour manger ». Inquiétez-vous. Donnez-lui à manger quelque chose de sucré.
Qu’est-il recommandé pour les femmes enceintes et les femmes qui allaitent ?
Il faut savoir que la grossesse est un état physiologique normal et que pendant des générations, les femmes enceintes jeûnaient. Les femmes qui allaitent aussi. C’est tout à fait normal. Il n’y a pas de contre-indication entre la grossesse, l’allaitement et le jeûne. Simplement, maintenant, il y a une ambiance moderne qui fait que la grossesse est devenue quelque chose d’extraordinaire où la femme enceinte ne peut plus parler, plus travailler, plus marcher…. Elle ne peut, presque, plus rien faire. Si elle allaite, c’est encore plus grave. Je pense qu’il faut rassurer les gens.
S’il y a une femme qui se sent trop faible ou qui a peur pour sa santé ou la santé de son enfant, à ce moment-là, évidemment, il vaut mieux qu’elle arrête de jeûner.
Les voyageurs sont ils exemptés de jeûne ?
Si quelqu’un fait un voyage au-delà de 86 kilomètre et plus, il peut ne pas jeûner à condition de le rattraper plus tard. Le voyage peut-être fatigant par lui-même et fatigant par les problèmes administratifs. Mais, si le voyageur estime qu’il peut jeûner, il peut le faire. Si le voyageur sent qu’il est fatigué et que les gens qui sont avec lui vont être retardés à cause de lui, à ce moment-là, il vaut mieux ne pas jeûner et récupérer par la suite, que ce soit un voyage par voiture, par avion, par bateau ou à dos de chameau.
On parle beaucoup des avantages du jeûne, peut-on en connaitre certains ?
Le jeûne est une pratique religieuse qui nécessite une intention de la faire. C’est une expression claire et nette de la foi de l’individu puisque personne ne peut vérifier sa véracité. On peut tromper les gens qui nous observent, même son conjoint à la maison, en faisant semblant de jeûner. Mais, il n’y a que le Créateur qui connaît tout dans les moindres détails. Son premier avantage c’est de monter la solidité et la véracité de cette foi. Ensuite, évidemment, le jeûne du point de vue religieux renforce la piété (ettakoua). Et puis il a les avantages physiques et psychologiques. D’abord, je voudrais être très clair : le jeûne n’a jamais intéressé les écoles de médecine. Certaines sont contre le jeûne de manière globale puisqu’on l’assimile à une privation qui serait négative pour le corps humain alors que c’est une pratique connue dans toutes les civilisations.
Le jeûne est même connu dans le monde animal. Il faut savoir qu’un animal, lorsqu’il est malade, se prive de manger et de boire pour améliorer son état de santé. Il est connu aussi par le monde végétal : les plantes n’absorbent pas d’eau à n’importe quel moment, n’importe quel jour…. Comme je suis fils de fellah et petit-fils de fellah, je sais qu’il ne faut pas arroser ses plantes et ses fleurs lorsqu’il fait chaud. Donc, le jeûne est connu des êtres humains, comme des animaux et des plantes.
Que nous ramène-t-il du point de vue physique ?
D’abord un contrôle de soi. Souvent on a l’impression, même lorsque nous sommes pratiquants musulmans, qu’on ne peut pas nous débarrasser d’un certain nombre de choses. Je donne l’exemple de la cigarette. Beaucoup de gens fument puis ils découvrent qu’ils sont capables de ne pas fumer pendant des heures. Cela veut dire qu’ils ont des capacités qu’ils ignoraient. Ils découvrent qu’ils peuvent décider de ne pas faire ceci ou cela pendant un certain nombre d’heures durant un mois, donc de pratiquer ce que l’on veut dans la vie.
D’autre part, le jeûne doit débarrasser l’individu des excès : les surplus de graisse, de sucres et de protides, etc. Aussi, le jeûne permettra pendant un certain nombre d’heures à un certain nombre d’organes d’être moins sollicités et de se reposer. En particulier, l’appareil digestif et le cœur. Mais, lorsque nous parlons des bienfaits du jeûne, il ne faut pas le calquer sur ce qui se passe actuellement. De nos jours, on a l’impression que pendant la nuit les musulmans se vengent de la journée. Ils essayent de manger trois à quatre fois ce qu’ils mangeaient avant le Ramadhan.
Aussi, nous mangeons beaucoup de sucreries, de friandises et de matières grasses le soir. Et ça c’est négatif. L’autre aspect négatif de la pratique du jeûne au 21e siècle est que certains dorment le jour et passent la nuit à manger. Je voudrais leur dire que ce n’est pas ça le jeûne.
Le jeûne consiste à se priver d’alimentation pendant la journée, à circuler et à accomplir ses missions. Il est important de dormir, non pas pendant la journée, mais le soir. Les musulmans, dans le passé, jeûnaient pendant la journée mais ça ne les privait pas de travailler. L’histoire musulmane est pleine de dates symboliques pendant le mois de Ramadhan. Il faut savoir que Ghezouat Badr et Feth Mekka ont eu lieu pendant ce mois et que même la guerre de 1973 s’est déroulé le 10 Ramadhan.
Lorsque moi je parle du jeûne, j’en parle comme il était pratiqué. Vous avez des gens qui le rompent d’une manière raisonnable avant la prière du Maghreb. Ensuite, ils mangent d’une manière plus consistante. Un peu plus tard, ils font la prière d’el Icha et les Taraouih, ce qui est un exercice physique. Ils dorment relativement tôt après pour pouvoir se reposer et se lever avant l’aube. C’est ça la bonne pratique. Maintenant, si les gens restent éveillés pour manger toute la nuit et dorment pendant la journée jusqu’à 13 heures et sortir ensuite pour… acheter, ça n’a pas d’effets positifs quant à leur santé. Au contraire, c’est très négatif.
Comme on est en plein été, qu’est-il recommandé aux jeûneurs ?
Il faut prendre quelques précautions supplémentaires. Premièrement, sans raison valable et sérieuse, ne pas sortir au soleil. En Algérie, c’est surtout entre 11h et 16h. Si vous sortez, il faut avoir une protection contre le soleil : se couvrir la tête d’une manière ou d’une autre et se couvrir le corps parce qu’il y a risque d’assèchement. Il faut prendre un maximum de liquides : eau, lait, thé,… pendant la nuit. Il ne faut pas se contenter de boire, il faut aussi manger. Enfin équilibrer entre les deux.
Un conseil aux jeûneurs, Professeur ?
Il faut expliquer que le jeûne est un acte de piété, qu’il ne faut pas dire des mots déplacés, qu’il ne faut pas se comporter n’importe comment, ne pas se bagarrer dans les marchés,….
Le jeûne consiste également à faire un surplus d’efforts. Il faut lire le Coran le Hadith et apprendre d’une manière globale. C’est un ensemble de choses qu’il faut faire pour améliorer la qualité morale de l’individu.
Entretien réalisé par Samira B.
Horizon

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