mercredi 26 février 2014

Kader Arif : «Les conséquences des essais nucléaires sont prises en compte par l’Etat français»

Dans une interview exclusive accordée simultanément à El Watan et El Khabar, Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre français de la Défense, chargé des Anciens combattants, soutient que les archives de la période coloniale sont ouvertes aux chercheurs et que l’Etat français est conscient des effets des essais nucléaires dans le Sud algérien.

- Pour commencer, pourriez-vous nous dire quelques mots, Monsieur le ministre, sur l’objet de votre visite à Alger ?

Dans les mois qui viennent, la France va s’engager dans un cycle important de commémorations, avec le centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale et le 70e anniversaire de sa libération. La France est consciente de ce qu’elle doit à tous ceux qui se sont battus pour elle et entend exprimer sa reconnaissance à tous ces hommes, venus du monde entier pour la défendre. C’est d’ailleurs le sens de l’inauguration du mémorial en l’honneur des soldats musulmans morts pour la France, par le président de la République, à la Mosquée de Paris mardi dernier. Les Algériens ont été particulièrement nombreux dans ces combats : 175 000 pendant la Première Guerre mondiale et 150 000 la Seconde Guerre mondiale. Nous devons leur rendre hommage et je suis venu évoquer, avec les autorités algériennes, les modalités pour le faire, à l’occasion notamment des cérémonies qui auront lieu en France cet été.

- L’axe Alger-Paris a du mal à sortir des relations passionnelles, avec comme abcès de fixation les questions de mémoire et la colonisation. La France est-elle prête à ouvrir une nouvelle page, tout en tenant compte des attentes de la partie algérienne ? Les relations entre la France et l’Algérie — pays où vous êtes né — sont toujours particulières. Pensez-vous qu’il soit possible de passer à une nouvelle étape, malgré les frictions régulières entre les principaux acteurs qui ont vécu l’ère coloniale ?

La visite d’Etat du président de la République le 20 décembre 2012 et celle du Premier ministre un an plus tard ont montré que la France souhaitait développer un véritable partenariat avec l’Algérie par l’intermédiaire, notamment, du Comité intergouvernemental de haut niveau. J’ai assisté à la première session du comité le 16 décembre 2013. Elle a été l’occasion de faire le point sur les relations bilatérales entre nos deux pays. Une feuille de route ambitieuse et répondant à notre volonté commune de hisser les rapports algéro-français à la hauteur des potentialités des deux pays et aux attentes des peuples algérien et français a été définie. Tant sur le plan économique, culturel, diplomatique et politique, des engagements ont été pris par les deux pays. Je pense par exemple à la convention de partenariat sur l’assistance technique dans le domaine des transports, à l’accord de coopération dans le domaine de la communication, à la facilitation de la mobilité des Algériens en France et des Français en Algérie ou à l’ouverture prochaine de quatre instituts d’enseignement supérieur technologique en Algérie soutenue par la France. Tout cela témoigne de notre volonté commune d’écrire cette nouvelle page d’histoire ensemble.

- Dans votre approche des relations franco-algériennes, vous rejetez le mot «repentance» auquel vous préférez «reconnaissance» (des crimes coloniaux s’entend) en plaidant pour une «mémoire apaisée» entre les deux pays. Quelles sont, de votre point de vue, les conditions de cette paix des mémoires ?

La vérité et la sincérité. C’est notre démarche.

- La revalorisation des pensions des anciens combattants algériens lors de la Seconde Guerre mondiale est sujet à des insatisfactions côté algérien, eu égard du montant perçu qui est considéré comme étant discriminatoire. D’autres questions sont liées à la prise en charge médicale d’anciens combattants vivant en France, de retour en Algérie, par la caisse d’assurance algérienne. Qu’en est-il des enquêtes effectuées par les autorités françaises concernant la perception des pensions par les ayants droit des décédés ?

Le montant des pensions militaires perçues par nos anciens soldats de nationalité algérienne ne peut être aujourd’hui qualifié de discriminatoire. Le point d’indice des pensions «algériennes» est, en effet, strictement identique à celui des pensions versées à leurs frères d’armes français. En 2013, ce sont plus de 10 milliards de dinars, soit près de 100 millions d’euros, qui ont été versés à ce titre en Algérie, alors qu’avant la revalorisation, les pensions militaires françaises représentaient douze fois moins. Les enquêtes auxquelles vous faites allusion et tendant à vérifier l’identité des bénéficiaires sont effectivement régulièrement menées. Compte tenu des sommes en jeu, elles sont légitimes. Mais les contrôles évoqués concernent principalement les retraites civiles versées, par virements bancaires, aux anciens travailleurs algériens qui perçoivent une retraite professionnelle civile du régime général français de Sécurité sociale.
En parallèle de cette revalorisation des pensions, les règles de droit applicables, notamment les conditions de réversion aux veuves, ont été également «alignées» sur celles retenues pour les pensions versées aux anciens militaires français. Je sais que compte tenu du nombre de dossiers à traiter, il y a eu ici et là des retards dans l’application de ce dispositif, c’est pourquoi je suis ce dossier de près. Les soins nécessités par les blessures ou maladies liées au service sont pris en charge par l’antenne de l’Office national des anciens combattants qui a rouvert ses portes, à Alger, en 2008. Pour les pathologies qui sont sans rapport avec l’activité militaire, le médecin dispense des consultations médicales gratuites à tous les anciens combattants qui en font la demande. Un fonds d’aide sociale de 20 millions de dinars finance la prise en charge de médicaments ou d’interventions chirurgicales. Enfin, pour ceux qui bénéficient de la couverture maladie de la Caisse nationale de sécurité sociale militaire, elle prend en charge les soins effectués en Algérie, comme ceux effectués en France. Donc, là aussi, en matière de soins, aucune discrimination ne peut nous être reprochée.

- Pourquoi la France s’oppose-t-elle toujours ou émet-elle des réserves à la restitution des archives, de certains symboles de l’Etat algérien, comme le canon La Consulaire ou Baba Merzoug, les clés de La Casbah d’Alger et même les restes mortuaires des résistants algériens ? Les autorités algériennes n’ont-elles pas émis de demande officielle en ce sens ?

S’agissant des archives, la France fait preuve de la plus grande transparence, car l’accès des historiens français et algériens aux archives françaises et algériennes est un élément important en vue d’une meilleure connaissance de notre histoire commune. La consultation des archives en France par des chercheurs algériens obéit aux mêmes règles que pour les chercheurs français. A ce titre, la quasi-totalité des archives est désormais accessible en France, puisque le délai de cinquante ans durant lequel elles ne pouvaient être consultées a expiré.
Nous sommes par ailleurs prêts, si une demande précise est faite dans ce sens, à faciliter l’accès des chercheurs algériens aux archives qu’ils souhaitent consulter. S’agissant des archives de la période coloniale, l’essentiel des documents établis par l’administration coloniale est resté en Algérie après 1962.
Les documents que la France a emportés ne sont que ceux qui relèvent de sa propre souveraineté. La France a par ailleurs déjà restitué l’intégralité des archives pré-coloniales qu’elle détenait dans ses fonds publics et s’est engagée à restituer toute archive de ce type qu’elle pourrait retrouver à l’avenir.
Les autorités françaises et algériennes entretiennent un dialogue constant et approfondi sur la question des archives, comme en attestent les réunions régulières du groupe de travail bilatéral mis en place à ce sujet.

- Un document déclassifié du ministère français de la Défense relatif aux essais nucléaires du 13 février 1960 dans le Sahara algérien, révélé récemment par Le Parisien, a suscité beaucoup d’émotion et des questionnements. Comment abordez-vous ce dossier ? Quelle est la réponse du gouvernement français aux demandes d’indemnisation des victimes de l’opération Gerboise Bleue ?  

Comme l’a dit le président de la République en décembre 2012, les conséquences de ces essais nucléaires sont pleinement assumées et prises en compte par l’Etat français, qui agit en toute transparence sur les données sanitaires et environnementales. C’est cette volonté qui a conduit la France à déclassifier certains documents à la suite de la requête d’associations. Sur le fond, les documents déclassés n’apportent pas d’éléments véritablement nouveaux. Le rapport diffusé par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques en 2002 faisait un point très complet de la question et concluait que la radioactivité de l’air dans les zones concernées était faible. Le ministère de la Défense, en lien avec le ministère des Affaires étrangères, met tout en œuvre pour que les victimes ou leurs ayants droit puissent faire valoir tous leurs droits en la matière, conformément au dispositif de reconnaissance et d’indemnisation mis en place par la loi du 5 janvier 2010. Ce dispositif examine notamment les demandes d’indemnisation présentées par les ressortissants algériens. Il n’établit bien entendu aucune discrimination entre demandeurs français ou algériens. Nous dialoguons régulièrement avec les autorités algériennes sur ce sujet afin de permettre une meilleure information du public algérien et de faciliter la présentation de dossiers par les victimes algériennes ou leurs ayants droit.

- L’affaire  Maurice  Audin  a  rejailli  à  la  faveur des révélations impliquant  Paul  Aussaresses et le  général  Massu dans son assassinat, et rapportées dans le livre de Jean-Charles Deniau, La Vérité sur la mort de Maurice Audin. L’Etat français est-il prêt, sur la base de ces nouveaux éléments, à faire un geste envers la mémoire de Maurice Audin, comme il l’a fait envers les victimes de la répression sanglante du 17 Octobre 1961 ?

L’affaire Audin met en jeu la douleur d’une famille. Elle rappelle également à la France combien son histoire en Algérie a pu être douloureuse pour nos deux pays. Nous avons un devoir de vérité sur cette histoire. Le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour contribuer à l’établissement de la vérité. A la demande du président de la République, Jean-Yves Le Drian a pris un arrêté de dérogation générale pour permettre à Mme Audin d’avoir accès à l’intégralité des archives de la Défense relatives à la disparition de son mari. Elle dispose de tous les documents en notre possession, qu’ils aillent ou non dans le sens de la version officielle défendue à l’époque. Le travail continue. Ce sera l’honneur de ce gouvernement que d’avoir contribué à l’établissement de la vérité, près de soixante ans après les faits.

EL WATAN

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