jeudi 31 octobre 2013

Mohamed Achir. Enseignant-chercheur à l’université de Tizi Ouzou : «La pression sur l’emploi contraint les décideurs à proposer des solutions conjoncturelles»


-Le débat autour de l’emploi et l’employabilité de la catégorie des jeunes et des diplômés est relancé de plus belle. Quelle lecture faites-vous des dispositifs institués jusqu’ici au profit de ces deux catégories ?
Du fait de son importance aussi bien politique qu’économique, la politique de l’emploi s’inscrit généralement dans la stratégie globale de croissance et de développement économique d’un pays. La politique de l’emploi peut prendre plusieurs formes et mécanismes mis en œuvre par des institutions et des dispositifs publics, mais la pression exercée par les demandeurs d’emploi contraint les décideurs politiques ou le gouvernement à proposer des solutions conjoncturelles et rapides permettant d’atténuer la demande sociale de l’emploi d’une part, et sans pour autant toucher aux intérêts du patronat, d’autre part.
Ces solutions conjoncturelles, répondant dans la plupart des cas à des repositionnements politiques des gouvernements, s’avèrent moins efficaces et parfois nuisibles à l’activité économique créatrice de richesse. En Algérie, nous avons pu observer la montée de l’activité spéculative commerciale générée par les dispositifs publics d’aides à la création d’entreprises et d’insertion.
Ces dispositifs ne prennent d’ailleurs ni la question territoriale comme variable d’orientation des aides à la création d’entreprises et d’insertion des chômeurs ni la relation des jeunes avec leur propre environnement économique ou leur territoire.
-C’est-à-dire ?
La politique de développement territorial constitue une partie de la politique du développement dont la modulation est focalisée sur la dimension territoriale ou spatiale. En effet, le développement local n’est pas un résultat d’importation massive de technologie, mais un processus d’adaptation créative qui intègre les spécificités et potentialités locales dans un système productif local, qui coordonne les différents acteurs locaux.
L’emploi, à l’instar des besoins énormes et des exigences des citoyens, notamment les jeunes, est considéré comme une demande essentielle à laquelle les territoires doivent trouver des remèdes adaptés. Pour cela, le territoire doit être doté d’une action territoriale relative au travail, à l’emploi, à l’insertion, à la formation et à la mise à niveau des compétences à travers aussi la territorialisation des dispositifs émanant de l’Etat, des wilayas et des communes. La valorisation des ressources et des potentialités locales à travers l’identification des attentes et des initiatives locales peut faire émerger des microprojets d’investissement et créer une chaîne économique intégrée et durable. Ceci engendre une dynamique micro-entrepreneuriale adaptée au contexte socioéconomique et géographique.
-D’après-vous, comment peut-on adapter les politiques actuelles de l’emploi aux spécificités de chaque région ? N’est-ce pas l’approche pour laquelle vous militez ?
Les dispositifs et instruments de l’Etat doivent être orientés et adaptés à des territoires à travers une mise en valeur des systèmes productifs locaux et des activités de l’économie sociale et solidaire. En Algérie, l’économie sociale et solidaire existe sous sa propre forme institutionnelle et informelle. Elle est différente de l’économie sociale et solidaire qui se développe en France, via notamment les coopératives, mutuelles et associations. Des pratiques économiques, même financières et traditionnelles, peuvent être institutionnalisées et créer une dynamique économique alternative, adaptée aux spécificités et valeurs des territoires. Dans ce cadre, les dispositifs doivent êtres adaptés aux formes structurelles traditionnelles des pratiques économiques relevant de l’agriculture, l’artisanat, le commerce, le tourisme et la microfinance.
-Que pensez-vous des appels de certains économistes à recourir aux dispositifs d’emploi traditionnellement connus, prétextant leur échec cuisant ?
Malgré la panoplie des dispositifs mis en place depuis notamment la décennie 1990, la question de chômage, surtout des jeunes diplômés, demeure problématique. Les dispositifs Ansej, CNAC et Angem ont certes contribué à atténuer la misère de quelques milliers de jeunes chômeurs, mais les résultats sont vraiment loin des effets escomptés. Cela a d’ailleurs été constaté lors de la stratégie des industries industrialisantes des années 1970, laquelle, en réalité, malgré l’importance et l’ambition du programme, a été un échec.

El WATAN

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire