Hans Rosling, l’inventeur du célèbre Gapminder World, également connu sous l’intitulé Gapminder des OMD, que nous avions rencontré lors de son passage à Annaba, le laisse comprendre en relevant dans cet entretien que «pour l’Algérie, beaucoup reste à faire pour parvenir à une croissance économique, l’un des objectifs majeurs du millénaire pour le développement.»
-Nombre de pays du tiers-monde ou en développement comme l’Algérie n’ont toujours pas les moyens de produire, d’analyser et de faire usage de statistiques variées et de qualité pour soutenir un développement réel. Souscrivez-vous à ce constat ?
Non, je ne partage pas cette opinion ; je pense plutôt que les données déjà existantes et suffisamment de bonne qualité sont mal utilisées et spécialement dans les pays qui ont le même niveau social et économique mais qui ne se comparent pas.
-On dit que de bonnes statistiques améliorent la transparence et la responsabilité dans la gestion des affaires publiques, tous domaines confondus. L’absence de statistiques fiables, les gouvernements peuvent-ils ne pas être comptables de leurs décisions ?
Le gouvernement algérien a suffisamment de bonnes données sur la mortalité qui baisse. Ils doivent être fiers de ce qui a été amélioré (voir le lien http://www.childmortality.org/index.php?r=site/graph&ID=DZA_Algeria). Mais si vous regardez le monde Gapminder interactive www.bit.1y/11bQDga, vous trouvez que l’Algérie doit être en mesure de faire beaucoup mieux avec les ressources existantes, comme la Thaïlande, le Sri Lanka et la Tunisie qui sont beaucoup plus faibles sur les taux de mortalité infantile au même niveau de revenu. C’est la capacité d’utiliser les données existantes qui est la principale limite !
-Plusieurs experts s’accordent à dire que les pays qui ont le plus besoin de statistiques sont également ceux pour lesquels ces statistiques sont les plus inaccessibles…
Une société qui ne tient pas à jour les livres des comptes ne peut pas fonctionner. Une nation sans statistiques peut ne pas fonctionner. Le défi consiste à faire bon usage des données existantes, améliorer la qualité lorsque cela est nécessaire, et puis graduellement augmenter la quantité de données collectées.
-Pouvez-vous nous citer quelques-uns des pays où les politiques de développement notamment dans le domaine économique doivent leur efficacité au système des statistiques adopté ?
Je peux citer la Suède, les USA, la Chine, et la Thaïlande comme de bons exemples. La Libye (dans le passé) et aussi la Corée du Nord comme les seuls qui manipulent bien plusieurs types de données avec efficacité de collecte, utilisation et compilation de statistiques…
-Les statistiques ont un rôle crucial à jouer dans le secteur de la santé publique, car permettant de tracer avec précision et rationalité la cartographie des dépenses…
C’est important d’afficher les détails pour voir les variations des dépenses au niveau national et connaître les résultats en provinces et quartiers, entre sexe et groupes d’âge, et surtout entre les groupes de revenus différents. Sans ces analyses, les nations passeront à travers ceux qui en ont vraiment le plus besoin.
-Les bailleurs de fonds (FMI et Banque mondiale) s’appuient sur les statistiques dans les décisions d’attribution d’aides, dans le suivi de leur utilisation et les résultats en matière de développement. Les pays qui en ont le plus besoin sont également ceux dont les systèmes des statistiques souffrent du peu de crédibilité. Cet état de fait peut-il expliquer les inégalités dans la répartition des fonds ?
Je pense que le vieux concept d’un monde en développement est le principal problème. L’Algérie semble être un pays qui progresse socialement et démographiquement, mais défaillant sur le plan économique. Vous pouvez constater la comparaison entre l’Algérie, la Thaïlande, la Malaisie et le Brésil sur Gapminder World ; www.bit.1y/11bVIoJ. Donc, il ne semble pas que l’aide étrangère soit la solution pour l’Algérie qui a une population en bonne santé et productive. Par contre, beaucoup reste à faire pour parvenir à une croissance économique, l’un des objectifs majeurs du millénaire pour le développement (OMD).
-Votre pays (la Suède) se distingue par un système statistique des plus performants au monde. «Statistiques Sweden» (SCB) a apporté sa coopération à plusieurs pays du tiers-monde. Pourquoi pas l’Algérie ?
L’Algérie n’est pas incluse dans le répertoire des pays les plus pauvres pour lesquels la Suède donne plus de priorité.
-Quels sont d’après vous les pays en développement qui ont réalisé des avancées notables en matière statistique ?
Les services gouvernementaux reflètent toujours la réalité de chaque pays, alors vous devez comparer le service des statistiques en relation avec le contexte social et politico-économique. J’ai été impressionné par le Bureau ougandais des statistiques où, malgré le faible niveau économique du pays, ils font un excellent travail. Mais il n’y a aucune organisation dans les organismes de statistique, plutôt en général, je pense que ces pays ont mal exploité les données recueillies et compilées par leur agence de statistique.
-Que retenir de votre riche expérience ?
En me frottant aux chiffres pendant de longues années et en analysant les tendances de fond, j’ai fini par comprendre que les changements sociaux devancent le plus souvent les évolutions économiques, qu’il faut avoir un regard neuf et non biaisé sur les statistiques, une vision objective du monde. C’est d’ailleurs ce à quoi œuvre notre fondation Gapminder car le problème n’est pas l’ignorance, ce sont les idées préconçues, le prêt-à-penser. Le monde n’évolue pas forcément comme on le pensait...
Qui est Hans Rosling et en quoi consiste le Gapminder ?
Etudiant la médecine et les statistiques à l’université d’Uppsala en Suède, Hans Rosling s’est spécialisé dans le domaine de la santé publique, puis part exercer ses fonctions au Mozambique. En 1981, il découvre une maladie rare et paralysante qu’il nommera Konzo. Pour identifier l’étiologie de cette maladie, il consacrera vingt longues années de sa vie à son suivi. Ce qui lui a valu le titre de Docteur de philosophie. Hans fut conseiller de la santé auprès de l’OMS, cofonda Médecins Sans Frontières en Suède et publia un manuel de santé globale.
Théoricien, conférencier et professeur de santé internationale à l’Institut Karolinska, (Stockholm), son travail actuel consiste à dissiper les mythes courants sur le Monde en développement, faisant des comparaisons entre ce dernier et le tiers-monde sur le plan de la santé publique et de la prospérité. Ses présentations sont basées sur de solides statistiques sur lesquelles s’appuient souvent nombre d’institutions et organisations des Nations unies dans leurs programmes dans le monde.
Ces présentations sont accompagnées par de pertinents commentaires et illustrées par des visualisations et graphiques nets et fluides réalisés grâce à Trendalyzer, un logiciel révolutionnaire mis au point et développé dans le cadre de la Fondation à but non lucratif Gapminder qu’il a créée avec son fils et sa belle-fille. En 2008, les droits de Trendalyzer, outil permettant d’agréger, d’animer et d’exploiter facilement les données statistiques chiffrées avaient été acquis par Google en vue de mettre à la portée du public les données mondiales.
Naima Benouaret
EL WATAN
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