mardi 12 avril 2011

Ahmed Chawki Taleb* à InfoSoir :
«Aucun pays n’a autant investi dans l’emploi»

InfoSoir : Quelles sont les raisons, selon vous, de l’inadéquation entre l’offre et la demande ?
A. Chawki Taleb : Très souvent, le niveau d’un nouveau diplômé est à «revoir». Entre la théorie et la pratique, il y a tout un monde... Et l’université n’assure que le minimum. Cela revient à l’étudiant donc de s’investir s’il veut vraiment s’intégrer et réussir dans sa vie professionnelle. De nos jours, l’entreprise exige une bonne maîtrise lors d’un recrutement, si ce n’est une qualification ou une certaine expérience. Par conséquent, il est important pour un débutant de prendre conscience qu’il est loin le temps où la majorité des travailleurs émargeait dans le secteur public. Depuis le temps béni des années 70/80, les choses ont changé. Bien que cette situation continue d’être une tradition dans certaines administrations. A l’image du fonctionnaire qui laisse sa veste sur le dossier de la chaise de son bureau pour faire croire qu’il est en train de régler ses affaires. Aujourd’hui, cette formule ne marche plus. Il faut retrousser ses manches pour s’assurer une place au sein de la société.
Le système éducatif est-il en cause ?
Non. C’est plutôt une question de mentalité. Nos jeunes n’ont pas de véritable culture professionnelle. Leur inculquer certaines valeurs en prévision d’une insertion professionnelle incombe surtout aux parents. Ils doivent être préparés à s’intégrer dans le monde du travail et, heureusement, que les parents sont aujourd’hui en majorité des universitaires. L’école a également un rôle à jouer… On ne monte pas les escaliers d’un seul coup. Rien n’empêche un intellectuel d’apprendre et d’avoir des compétences en dehors de sa spécialité. Comme chacun le sait, s’adapter aux nouvelles technologies par exemple devient de nos jours une exigence. Et puis, on ne gravit pas les échelons du jour au lendemain. Cela s’apprend avec le temps. Un débutant doit faire un training (entraînement) de toutes les structures. Passer au moins 2 mois dans une structure une obligation pour les primo-demandeurs pour arriver à maîtriser le fonctionnement de l’entreprise qui les embauche. Certains jeunes diplômés refusent de travailler à 60 km de leur domicile. C’est absurde ! Nous n’avons pas une baguette magique pour créer à chacun une entreprise juste à côté de chez lui. Ailleurs, en Europe par exemple, les gens font plus de 200 kilomètres pour se rendre à leur travail. Qu’est-ce qui empêche un jeune de travailler dans le sud du pays ? Nous avons de nombreux appels d’offres proposés par de grandes firmes ! Aujourd’hui, nous avons des moyens de transport. Il ne faut pas perdre non plus de vue qu’un diplôme est une arme, ce n’est pas rien ! Le reste vient avec le temps… En France, des médecins sont serveurs dans des cafés ou des restaurants ! La vie est un choix, et il n’y a aucune honte à exercer de petits métiers… Cependant, ce qu’il faut retenir c’est que tout s’arrache et avec compétence. Le temps, c’est aussi de l’argent. Il faut, c’est sûr, décrocher un poste de travail sans oublier de toujours se mesurer aux meilleurs.
Qu’en est-il de l’inadaptation du créneau de la formation avec le marché de l’emploi ?
Nous sommes le seul pays au monde à avoir mis en place des moyens colossaux pour sauver notre jeunesse. Aucun pays, je dis bien aucun, n’a autant investi dans la création d’emplois. La réforme dans le secteur de la formation, telle que prônée par le premier magistrat du pays, a justement pris en considération ce volet. C’est-à-dire drainer une nomenclature qui correspond parfaitement aux exigences des entreprises. Aujourd’hui, le fruit de cette réforme est de plus en plus visible sur le terrain et ce, à travers le grand nombre de nouveaux promoteurs qui ont investi dans plusieurs créneaux, par le biais de la Cnac ou de l’Ansej, et bien d’autres dispositifs. Certains porteurs de projets sont devenus performants et concurrentiels. Les objectifs tracés par le gouvernement pour la création de postes d’emploi sur le quinquennat seront, sans nul doute, atteints. L’emploi existe en Algérie. Aujourd’hui, nous avons une population jeune qui possède d’immenses capacités et énergies. Et il est vraiment décevant de voir des étrangers accaparer de gros marchés publics alors que nos jeunes diplômés peinent à trouver ne serait-ce qu’un tout petit boulot. L’Etat a mis le paquet. Il reste à la jeunesse de prouver qu’elle peut défendre ses intérêts et ceux de la nation.
Comment régler efficacement cette problématique afin de faire bénéficier les entreprises des compétences et de hisser la barre de notre économie ?
Une entreprise vit des situations transitoires tout au long de son existence. Un temps d’adaptation est nécessaire à tout débutant. Je vous cite un exemple. Au niveau de la Cnac, j’ai recruté un juriste qui a accepté de travailler comme chauffeur pendant deux ans avec un salaire selon son grade et non selon son niveau intellectuel. Quand le besoin s’est fait sentir, il a été reconduit à une nouvelle fonction qui correspondait à son profil. Toute chose a un début. Au fur et à mesure et avec le temps, on peut s’intégrer facilement dans son domaine. Ce n’est pas le premier jour qu’on devient directeur. Cela se fait progressivement et c’est cela la hiérarchie. Nous ne pouvons pas être tous médecins… Très souvent, ce qui intéresse un cadre, c’est son salaire sans plus. C’est légitime, je n’en disconviens pas, mais il faut un minimum de bagages et d’expérience. C’est anormal de trouver quelqu’un exiger une paye de 40 000 DA par mois au tout début de sa carrière !

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