jeudi 14 avril 2011

Les jeunes et le marché informel : Le miroir aux Alouettes

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A El Harrach, quartier populaire de la banlieue d’Alger, un rendez-vous est pris avec trois jeunes algerois dans un café maure à proximité du centre-ville, en cette journée printanière du mois d’avril. Hakim, l’aîné des trois, vient tout juste de rentrer au bercail après six ans de pérégrinations en Europe de l’Ouest en quête de fortune et d’horizons meilleurs et de fortune.
Pour financer son aventure outre méditerranéenne, il a trimé pendant cinq ans dans le créneau de l’habillement. Son ami Redha, âgé de 30 ans, n’a jamais quitté le territoire national. Il a le commerce dans le sang, disent ses amis, il a passé plus de la moitié de son âge dans les marchés informels de la Capitale. Aucune place du commerce parallèle n’a de secret pour lui. Puis vient Yacine, le plus jeune de la bande, débordant d’ambitions, son objectif : gagner beaucoup d’argent avec le moins de contraintes possibles. Et pour réaliser son rêve, il a, tout bonnement, choisi la voie la plus facile, en intégrant les rouages du circuit informel en commençant bien évidement par le bas de l’échelle, puisque contraint, manque de pactole oblige, de grossir les rangs des centaines de petits trabendistes écumant les trottoirs et autres places d’Alger.
Le dénominateur commun entre ces trois amis est bien entendu le commerce informel. Seulement les motivations les poussant à s’intéresser de près à ce filon fort lucratif d’apparence, du moins pour certains, diffèrent de l’un à l’autre. Par fatalité, par manque de débouchés sur le marché du travail ou bien par opportunisme, la ruée vers l’argent les a précipité pieds et mains liés dans les entrailles d’un business affectant tous les segments de la sphère commerciale.
« J’ai commencé en 1999, et dès le début pour ne pas me compliquer la vie, j’ai choisi de me spécialiser dans l’habillement. Je proposais toujours à mes clients des vêtements de premier choix. Pendant cinq ans, je me suis privé de tout, car secrètement je nourrissais le rêve de partir en Europe. A vrai dire, j’ai relevé ce défi avec succès, puisque je me suis établi en Angleterre pendant un bon bout de temps.
Là-bas aussi, je n’ai pas perdu mon temps. J’ai travaillé avec acharnement, avant de revenir ici les poches pleines», raconte Hakim. Arrivé donc ici, il a investi dans le même créneau. Fraîchement marié, il compte désormais exploiter son capital expérience et l’argent thésaurisé durant son séjour en Europe, pour se lancer dans un véritable projet. «Je compte monter une affaire dans le cadre du dispositif Ansej, car avec les nouvelles mesures je ne dois pas rater une telle opportunité», dit-il. Rédha, quant à lui, compte construire son avenir «brique par brique», comme il aime à le répéter autour de lui. Et pourtant, il ne se plaint pas côté argent. «Depuis mon jeune âge je gagne bien ma vie. Certes, je n’en ai pas mis beaucoup de côté, seulement mon fonds est suffisant pour que je puisse m’approvisionner en articles», assure-t-il. Mais il y a un hic. «Après quinze années consacrées à ce métier, ma situation est loin d’être stable, car, d’une part, je n’ai pas évolué, et d’autre part, je n’ai pas de couverture sociale, donc pas de retraite en vue», se plaint-il. Il a donc décidé de demander un emploi par le biais de l’Anem et espère être recruté par les services de l’APC comme jardinier. «Avec le temps j’ai appris une chose : vaut mieux gagner moins et être affilié à la Sécurité sociale que de se contenter d’un travail précaire bien payant», dit-il avec un brin de philosophie.
Yacine ne voit pas les choses sous cet angle. Pour lui, l’essentiel est de ramasser le plus possible d’oseille. «Ma philosophie dans la vie est bien simple. Etant donné que je n’ai pas réussi dans mes études, il me reste qu’une seule voie : le commerce. Les anciens, m’ont appris toutes les ficelles du métier. Il n’y a pas de raison pour que j’arrête mon business, d’autant plus que je pense sérieusement à m’établir dans quelques années à l’étranger», confie-t-il.
A travers ces confidences on se rend vite compte qu’il n’est pas aisé de dresser un portrait type du commerçant activant dans l’informel. En revanche, et de l’avis des trois interlocuteurs, il est très difficile d’y évoluer. «J’ai tenté de passer au stade supérieur en devenant grossiste ou intermédiaire, mais sans succès, car pour y parvenir il faut avoir beaucoup d’argent. Néanmoins, des amis à moi ont réussi. Ils ont pu avec le temps, louer des locaux et certains d’entre eux possèdent même un registre de commerce. Mais maintenant, ils se plaignent car nous les gênons, puisque on vend les mêmes produits à des prix inférieurs. Pour eux c’est de la concurrence déloyale», lance Rédha.
Les points d’approvisionnement pour les commerçants du marché informel sont variés. «Il faut savoir que dans notre créneau, il n’existe pas de facture. A la limite, le fournisseur vous signe un bon à titre justificatif. A Alger par exemple des vendeurs s’approvisionnent à El Harrach, plus précisément au marché D15, d’autres à Bab El Oued où chez des particuliers qui ont l’habitude d’introduire des produits d’Europe ou des pays d’Asie comme la Syrie ou les Emirats arabes unis. Il y a aussi des commerçants de l’informel qui s’approvisionnent directement chez des grossistes au même titre que les autres qui activent légalement. Sans charges, ils ont toute la latitude de réduire les prix de vente. Ce que les commerçants ordinaires ne peuvent pas se permettre», affirme Rédha. De son côté Hakim, confie que la plupart de ses amis s’approvisionnent à Sétif ou El Eulma et des wilayas frontalières avec le Maroc.
«Il est actuellement très facile de trouver des fournisseurs. Que ce soit pour le premier choix ou le bas de gamme. Il suffit juste de passer commande», assure-t-il. En sus de l’habillement, d’autres articles et produits de consommations font fureur sur le marché informel. «En été ces vendeurs se spécialisent dans le créneau des glaces et autres produits rafraîchissant ainsi que dans les articles de plage.
A la rentrée scolaire, ils étalent sur les trottoirs les affaires scolaires. A l’occasion du Mawlid Ennabawi ils optent pour les produits pyrotechniques, même lorsque la sélection nationale joue, certains se lancent dans la vente des drapeaux et autres produits dérivés. C’est dire que tout se vend, dans la mesure où la demande sur le marché est importante», dira-t-il.

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