mercredi 16 mai 2012

Europe : Crise souveraine ou crise bancaire ?

Dans un discours tenu le 17 avril à l’Université du Maryland, la présidente du FMI, Christine Lagarde, appelait à la création d’une structure pan-européenne ayant pour objectif de recapitaliser l’ensemble des banques de la zone euro. Cet appel était relayé par les avertissements de l’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, qui regrettait que la recapitalisation des banques ne soit plus à l’ordre du jour des sommets européens.Ces commentaires viennent opportunément nous rappeler que la crise que nous traversons est d’abord une crise bancaire avant d’être une crise souveraine. Dans au moins deux pays de la zone euro, l’Irlande et l’Espagne, la dégradation des finances publiques résulte directement d’un excès d’endettement privé et de l’implosion de bulles immobilières. Le système bancaire de ces deux pays a été frappé par l’accumulation de créances douteuses des ménages et entreprises. Ainsi, le sauvetage de ses banques a coûté à l’Irlande 70 milliards d’euros au total, soit 55% du PIB. En Espagne, les provisions de pertes sur les crédits immobiliers ont été différées autant que possible mais le coût très important du sauvetage du système bancaire (la Banque d’Espagne parle de 380 milliards d’actifs toxiques dont 180 milliards seraient problématiques) pèsera lourdement sur la situation budgétaire espagnole.
 
Réponses inadaptées
Crise souveraine et crise bancaire s’auto-entretiennent l’une et l’autre dans une spirale sans fin. Les banques insolvables fragilisent les Etats qui en sont les garants tandis que les obligations d’Etat dépréciées pèsent en retour sur le bilan des banques, les rendant moins solvables encore. De plus, l’application de plans d’austérité simultanés dans tous les pays plonge les économies de la zone euro dans la déflation, voire la dépression, ce qui aggrave la situation de solvabilité des ménages, des entreprises et donc des Etats eux-mêmes. Les créances douteuses détenues par les banques enflent et nécessitent une nationalisation ce qui détériore encore plus la situation budgétaire des Etats. Parallèlement, le crédit se contracte, ce qui handicape les PME et grève toute chance de reprise.Les réponses apportées jusqu’à présent se sont révélées inadaptées. La politique de prêts aux banques par la BCE a certes permis d’éviter des faillites bancaires mais n’a pas assaini les bilans des banques. Les montants empruntés à la BCE ne se sont pas investis dans l’économie réelle mais sont simplement déposés à la BCE pour pouvoir faire face aux immenses besoins de refinancement des banques. Les banques survivent sous perfusion mais ne peuvent pas participer activement au financement de l’économie. Quant aux efforts de consolidation budgétaire, qui étaient censés rétablir la solvabilité des Etats et par ricochet celle des banques, ils s’avèrent finalement contre-productifs.Une des clés pour briser cette spirale infernale réside dans la recapitalisation des banques. En effet, des banques dotées de fonds propres accrus pourraient enfin prendre des pertes sur leurs actifs à risque, notamment les prêts octroyés aux particuliers, aux entreprises et aux Etats. Une partie de la dette publique et privée pourrait ainsi être annulée et les bilans des banques assainis. Puis, le crédit pourrait repartir.
 
Un fonds pan-européen de garantie du système bancaire
Cependant, l’approche actuelle consistant à confier à chaque pays la responsabilité de recapitaliser ses propres banques ne fonctionne pas, car elle reporte la défiance des banques aux Etats puis des Etats aux banques, alimentant les processus de contagion. Ce système de garanties nationales, loin de jouer le rôle de pare-feu souhaité, a contribué à «espagnoliser» l’ensemble du système bancaire européen.La solution au problème réside dans la création d’un fonds pan-européen de garantie du système bancaire capable de recapitaliser l’ensemble des banques de la zone euro. Ce fonds pourrait être placé sous la tutelle de la Banque européenne d’investissement ou du mécanisme européen de stabilité. Il serait doté de fonds propres importants issus d’une contribution mutuelle des Etats -ou directement imprimés de la BCE- et pourrait aussi se financer directement auprès de la BCE. Il interviendrait directement comme actionnaire, acquérant à des prix attractifs des participations au capital des banques en situation de détresse financière. Il serait également capable de restructurer le système bancaire en organisant des regroupements entre banques et la prise de pertes sur les actifs bancaires de dette souveraine ou privée. A l’image de l’expérience suédoise des années 1990, un système bancaire assaini pourrait alors émerger. Les mécanismes de contagion entre banques et Etats seraient contenus pour deux raisons : d’une part, les Etats seront débarrassés du fardeau de garantir leur propre système bancaire, d’autre part, Etats, ménages et entreprises redeviendraient solvables, car les surplus de dette publique et privée seraient effacés sans provoquer l’arrêt cardiaque du système financier.  
Certains obstacles politiques devront être surmontés. Les banques européennes seraient en effet placées sous la tutelle d’une autorité fédérale, qui pourrait avoir son mot à dire sur leur politique de crédit, de rémunération et de gestion des risques. Certains Etats, soucieux de protéger le statut particulier de leurs banques (comme celui des Landesbanken en Allemagne), pourraient s’y opposer. Par ailleurs, l’opinion allemande s’est toujours montrée hostile, depuis le début de la crise, à la mutualisation des risques financiers entre Etats de la zone.Cette hostilité de principe pourrait être vaincue si le mécanisme actuel de transfert des risques du système privé vers les contribuables était rendu plus transparent pour le grand public. Lorsque des flux de capitaux de plusieurs centaines de milliards d’euros ont fui les pays périphériques, la BCE a permis d’éviter l’effondrement du système bancaire européen en reprêtant les flux déposés dans les banques des pays cœur aux banques des pays périphériques. Par l’intermédiaire d’un système de compensation entre banques centrales de la zone euro appelé Target 2, la Bundesbank se retrouve détentrice de plus de 600 milliards d’euros de créances bancaires des pays périphériques de la zone euro. Le refus de la mutualisation n’est qu’une façade, puisque la mutualisation des risques est déjà une réalité pour les Allemands. Le problème est que le système de mutualisation actuel est inefficace puisque, passant par l’octroi de prêts d’urgence, il permet simplement une diminution modeste des coûts de financement et non un allégement significatif du fardeau d’endettement public et privé. Cette profusion mal calibrée de liquidité cristallise une situation insoutenable sans y apporter de remède. Il faut maintenant s’employer à convaincre les Allemands qu’ils sauvegarderont plus sûrement leur épargne et leur industrie en devenant les actionnaires des banques des pays périphériques plutôt qu’en demeurant leurs créanciers.
Par Jean-Jacques Ohana et Steve Ohana
La tribune

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