mercredi 9 mai 2012

Philippe Ausseur, Associé au sein du Cabinet Ernst & Young, directeur de l’activité conseil pour la France, l’Algérie et le Luxembourg, à Liberté “Les entreprises algériennes doivent repenser leurs modèles d’organisation


Liberté : Votre périmètre de compétence comprend l’Algérie. Quelle appréciation portez-vous sur la performance des entreprises algériennes en matière stratégique, financière, organisationnel et en SI ?
PHILIPPE AUSSEUR : Si je devais résumer en quelques mots, je dirais : “en net progrès, le potentiel est là, mais l’effort doit être poursuivi et accentué”. Si maintenant, nous reprenons plus en détail les différents éléments de votre question, les appréciations sont bien entendu à moduler.
En matière stratégique, les entreprises algériennes doivent aujourd’hui repenser leurs modèles et s’orienter vers plus d’investissements productifs et plus de qualité. Elles doivent s’inscrire dans les standards mondiaux sans complexe mais aussi sans faiblesse. Leur organisation, leurs modes de management doivent favoriser plus de valeur ajoutée, plus de qualité, de réactivité et même osons le dire d’audace. Mais pour cela, l’État algérien et ses administrations doivent être un levier et un stimulant. Le cadre législatif et réglementaire doit lui aussi s’adapter et orienter les stratégies.
En matière financière, les entreprises algériennes doivent désormais et sans tarder se rapprocher des normes internationales. Il y a nécessité de plus de clarté et de comparabilité. Il faut que les comptabilités algériennes puissent être réalisées de manière comparable et pas forcément identique à ce qui se fait dans d’autres économies. Elles doivent être au service du pilotage et avoir une vision plus économique, analytique que patrimoniale. Sans cela, il ne peut y avoir de perspectives, de stratégies de développement pérennes et efficaces.
Les organisations doivent évoluer vers des modèles plus flexibles. Les processus (R&D, achats, marketing, ventes…) doivent être au cœur des modèles managériaux et s’imposer plus que des fonctions trop verticales. Il y a encore trop de rigidité et de cloisonnement dans les organisations algériennes, alors que l’économie impose flexibilité et agilité. La création de la valeur réside aujourd’hui dans la capacité à gérer des projets et promouvoir, distribuer et financer autant que concevoir. Les fonctions supports (marketing, finances, etc) doivent être au cœur des produits et services proposés.
Enfin, pour les systèmes d’information, nous constatons des progrès mais nous sommes encore au milieu du gué. Un certain nombre d’investissements ont été engagés notamment sur les infrastructures (réseaux et matériels) et certains logiciels. Mais les investissements dans des systèmes d’information modernes, cruciaux aujourd’hui, pour piloter et développer les entreprises, doivent être accélérés. Il faut que les entreprises optent pour des systèmes d’information transversaux, intégrés et connectés. Il ne s’agit plus aujourd’hui d’informatiser ou d’automatiser des tâches et de produire des données mais bien de piloter des processus et d’amener de la connaissance.

L’on constate aussi que les entreprises algériennes sont équipées et connectées mais peinent à tirer leur productivité vers le haut. Ce constat est-il juste ? Et que faut-il faire pour améliorer la situation ?
Oui, ce constat est juste. Il fait le lien avec mes remarques précédentes. L’effort d’équipement et de connexion n’est pas une fin en soi et ne permet pas d’élever suffisamment la productivité. Pour cela, il faut plus de “matière grise”, plus d’intelligence artificielle ou humaine. Je m’explique. Un ordinateur même connecté ne saurait amener de la connaissance s’il ne fait que produire de simples données ou échanger des messages. Pour que la productivité s’élève, il faut des logiciels plus intégrés, des données fiables, en temps réel et comparables. Il faut décloisonner l’informatique et interconnecter non pas seulement des terminaux mais surtout des programmes et donc des processus et des fonctions. Et il faut enfin, des pilotes et des opérateurs bien formés, capables d’analyser les données pour les transformer en informations, mieux encore en connaissances. Pour améliorer la situation, il faut donc penser à l’informatique comme un investissement matériel et immatériel, et non comme une dépense, investir dans des programmes intégrés et connectés et formés les utilisateurs. Ces investissements doivent coller au plus près des stratégies et des organisations de chaque entreprise. Comme tout investissement stratégique, ils doivent donc faire l’objet d’études et de cadrage préalable, être pilotés et mesurés et régulièrement mis à jour. Enfin, pour tirer pleinement parti des TIC, il faut aussi adapter les modèles d’entreprise et conduire de vrais changements organisationnels comme évoqués dans votre question précédente.

Quelles sont les grandes tendances qui vont changer l’entreprise d’ici 2015 ? Et dans quel sens? 
Nous venons justement de sortir deux études sur les grandes tendances à l’horizon 2015. Nous pouvons les résumer en six points majeurs:
D’abord, la montée en puissance des pays émergents et l’impact des mutations démographiques. Les technologies “vertes”, la prise en compte du développement durable comme un levier pour acquérir un avantage compétitif.
Les mutations du secteur bancaire et les liens étroits que le secteur public tisse avec le privé. Enfin, une innovation technologique accélérée au service d’organisations agiles et digitales. Cette dernière évolution est marquée par une montée en puissance des réseaux fixes et mobiles avec une bande passante en croissance forte (data, voix, vidéo), des technologies, et en particulier le cloud computing, qui abolissent les frontières organisationnelles et géographiques, des États qui s’investissent plus massivement dans l’innovation et enfin, la maîtrise de l’analytique qui devient un différenciateur fort.

Quelle place pour l’économie et l’entreprise algériennes ? 

Les atouts sont là. Ainsi, comme tous les pays émergents, l’Algérie peut avoir un cran d’avance sur les nouvelles technologies en “zappant” les anciennes technologies au profit des dernières, et en soutenant la demande intérieure de leurs marchés qui est forte sur ces technologies. Sa démographie et notamment sa jeunesse sont un atout. Mais pour réussir à prendre pleinement sa place dans ce nouvel environnement, il faudra oser, accepter le risque, le changement, et donc évoluer.

M. Y

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