mardi 27 mars 2012

“1962, c’est une affaire de vieux !” Les jeunes Algériens connaissent mal l’histoire de l’indépendance. Ils ne voient qu’une chose : leur pays est devenu une cage dans laquelle leurs rêves s’étiolent.

Nés durant la crise des années 1980 ou pendant la folie meurtrière des années 1990, les jeunes Algériens rêvent de liberté. Du combat des hommes du 1er novembre [1954], ils ne retiennent que de vagues notions apprises à l'école. "L'indépendance représente la fin d'une galère et l'avènement d'une autre, plus grande encore", nous dit ainsi Amine, soulignant qu'il ne peut s'empêcher de penser que l'Algérie ne méritait pas un tel destin.

"J'étouffe", nous dit-il. Sur ses frêles épaules repose une pression presque inhumaine. "Nous avons des projets plein la tête, des ambitions, mais toutes les portes sont fermées. Face à cela, nos parents attendent beaucoup de nous et tout ce qu'on peut leur offrir, c'est l'image d'un jeune qui regarde le temps passer." Amine "étouffe" parce qu'à vingt ans on l'empêche de rêver. "Ceux qui ont pris les armes contre la France étaient des jeunes épris de liberté : que sont-ils donc devenus ?" s'interroge-t-il.

Certains feignent l'indifférence à l'approche de l'anniversaire du cessez-le-feu du 19 mars [à la suite des accords d'Evian du 18 mars 1962], affirmant avoir d'autres préoccupations. Et pour cause : la majorité de ces jeunes, sans rentrées d'argent, tournent en rond. "Nous n'arrivons même pas à trouver un petit job pour avoir de quoi faire du ‘flexy' (recharges téléphoniques) et acheter un paquet de cigarettes. A mon âge, je dois encore mendier de l'argent à mes parents, et vous venez me parler d'indépendance !" ironise Ahmed, "parkingueur", autrement dit gardien autoproclamé de parking à ses heures perdues.

Pour sûr, il ne sert à rien de déterrer les gloires passées si l'avenir est incertain. "Nous ne trouvons même pas un F1 (studio) dans lequel nous pourrions nous abriter et fonder une famille. Comment voulez-vous qu'un gars qui touche 30 000 DA [303 euros] puisse louer un appart à 35 000 DA [354 euros]. Ils veulent faire de nous des voleurs", s'insurge pour sa part Mohammed, agent de sécurité dans une entreprise de téléphonie mobile.

Au menu de leurs tourments figurent notamment la maârifa, c'est-à-dire le piston conditionnant les embauches, les tchippas, commissions indispensables pour faire de petites affaires, ainsi que les beggara, ces parvenus enrichis durant les années du terrorisme [les années 1990] qui les narguent avec leurs grosses voitures et leurs belles villas. Les jeunes pataugent dans des problèmes qui ne devraient pas être de leur âge. C'est qu'il y va de leur virilité, disent-ils : un homme doit assurer, construire son avenir et préserver sa famille du besoin.

Leurs mots basculent entre inquiétude et espoir. Ils critiquent la qualité des cours dispensés à l'école, ainsi qu'à l'université. "Le problème des jeunes diplômés réside dans l'université elle-même. Franchement, nous avons l'impression d'y perdre notre temps", souligne Redouane. Ils ne trouvent pas de mots assez durs pour qualifier les gouvernants qui, selon leur expression, "se moquent" d'eux depuis cinquante ans. "Un froid de quelques jours a paralysé le pays [en février 2012]. A la télévision, ils trouvent tout de même le moyen de diffuser des images de l'armée dégageant les routes. Y'en a marre du mensonge et de la langue de bois", s'insurge encore Redouane.

Les frustrations sociales sont également dans la liste de leurs lamentations. "Nous aussi, nous aimerions sortir un peu, nous changer les idées, mais où ? Avec quel argent ? On veut nous enterrer vivants !" s'écrie Adel, diplômé de l'Ecole d'architecture. La vingtaine à peine entamée, il a déjà une certaine idée de l'Algérie. "C'est la foi en la solidarité qui a disparu du bled, et cela fait fuir les jeunes", diagnostique-t-il. Lui ne croit pas à l'eldorado européen. L'avenir, il ne le conçoit pas ailleurs. Mais tous ne sont pas de cet avis. S'il le pouvait, Ahmed, partirait, le plus loin possible : en Amérique, en Australie, en Chine... "Pourvu que je me sente à l'aise. Je serai enfin moi-même. Ici, on se sent dans une cage, à tourner en rond dans la cité. Les jours se ressemblent indéfiniment. Ce pays, nous l'aimons, mais nous y sommes à l'étroit."

Amel Blidi

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