dimanche 4 mars 2012

La gestion des ressources de souveraineté en question La parcimonie comme éthique de gouvernance

Par  Kamel Behidji (*)

«La prodigalité conduit à l’arrogance, et la parcimonie à l’avarice. L’arrogance est pire que l’avarice.» Confucius


 


Le monde entier est en train de réviser ses comptes économiques et sociaux ! Des Etats-Unis à l’Europe, de la Chine pourtant excédentaire aux riches pays du Golfe, l’ensemble des pays remettent en cause de manière drastique leurs prévisions économiques et sociales jusqu’aux organisations internationales (FMI, Banque mondiale, OCDE…) qui perdent de plus en plus de leur crédibilité. Même l’Allemagne, l’exemple cité à satiété par les experts, commence à montrer des signes de nervosité que les crises grecque puis italienne ont transformés en arrogance pour le moins mal venue. Une chose est sûre cependant,  plus on s’intéresse aux explications très techniques et aux débats politiques intenses qui se multiplient  dans tous les médias du monde tant les préoccupations des Etats et des gens sont grandes, plus on se rend compte de l’immense retard que notre pays a enregistré en matière de gestion des affaires économiques et financières publiques et privées.


DES éTATS FAIBLES ET DES RICHES FRILEUX


Ce que nous montrent d’abord les exemples occidentaux, c’est l’extrême faiblesse des Etats pourtant modernes, organisés et avec une longue expérience de la gestion des affaires publiques. Cette faiblesse vient précisément du fait qu’à l’exception de la question sécuritaire qu’ils instrumentalisent à souhait mais où ils sont tenus d’agir pour leur propre survie, ces Etats, dans leur majorité, défendent des intérêts qui sont loin d’être ceux de leurs peuples respectifs comme le montrent de manière irréfutable l’opposition farouche d’une majorité de représentants des peuples occidentaux à l’augmentation des impôts sur les revenus des plus riches. Cela nous indique aussi ce qui pourrait arriver le jour où il deviendra nécessaire de couvrir le coût du retard que l’économie nationale subit du fait des énormes dysfonctionnements dont il sera question plus loin. Et s’il fallait un premier indicateur relativement fiable de «la frilosité» de nos riches en matière de contribution de solidarité avec les plus démunis de nos concitoyens, le fonds de la zakat se révèle être des plus éloquent !


PATRONS «VOYOUS» ET MILLIONNAIRES «PATRIOTES»


Ils sont rares les citoyens riches ou privilégiés du système qui acceptent de s’impliquer avec détermination dans la recherche et l’application de solutions aux crises qui frappent leurs pays respectifs même quand les faits montrent qu’ils ont été les inspirateurs et les principaux bénéficiaires des politiques qui ont mené ces pays au désastre. Ainsi qu’on peut le voir à travers les exemples américain, français, italien ou grec, les patrons «voyous», qui surfacturent leurs importations, transfèrent par tous les moyens leurs excédents financiers frauduleux, sont autrement plus nombreux ces millionnaires «patriotes» à l’image de Warren Buffet ou Bill Gates dont la formidable prodigalité est aussi déconcertante que leur réussite professionnelle et qui «militent» aujourd’hui pour une plus grande équité dans l’imposition des revenus des plus fortunés.


UNE SITUATION FRISANT LE PATHéTIQUE


La sagesse voudrait que ce soit pendant les années de vaches grasses que l’on prépare celles des vaches maigres qui vont indubitablement suivre. Cela relève non seulement des responsabilités de l’Etat mais aussi de celles de la société et de ses élites politiques, économiques, scientifiques et culturelles, car tout le monde sait, voit, en parle tout le temps et certains dénoncent parfois. Tout le monde, y compris ceux-là mêmes, à l’intérieur comme à l’extérieur et à tous les niveaux de l’échelle sociale, qui profitent de cette situation «pathétique» pour reprendre la formule malheureuse mais combien expressive de diplomates français en conclave captée en off et rapportée par la presse. Les cas de la Grèce - cette matrice doctrinaire de l’Occident – ou de l’Espagne, du Portugal, de l’Irlande et demain peut-être de la France et de l’Allemagne devrait faire réfléchir plus d’un quant aux dangers du laisser-faire, de l’aveuglement et de la fuite des responsabilités d’autant que nôtre pays est tellement fragile qui plus est économiquement.


UNE MISE à NIVEAU DE L’éCONOMIE EN éCHEC


Cette fragilité va de la sempiternelle Loi de finances complémentaire (LFC) - une procédure en principe exceptionnelle devenue rituelle - aux reports par voies judiciaires des dates de dépôts de déclarations fiscales des entreprises publiques et privées dues normalement au plus tard le 30 avril de chaque année, sans oublier un marché financier chaotique caractérisé par des banques qui thésaurisent, une bourse qui se meure, des flux financiers informels qui concernent plus du tiers de la masse monétaire en circulation et des administrations fiscale et douanière dépassées par une politique débridée de laisser-faire à l’origine d’une  fraude fiscale généralisée et des flux de biens et de services incontrôlés notamment aux frontières terrestres au détriment du Trésor public et de la population.
Ce sont là quelques-uns parmi les nombreux exemples qui handicapent  la plupart des tentatives  nombreuses et diversifiées de mise à niveau et de rationalisation des activités économiques et financières lesquelles, de l’avis même des initiateurs, se sont toutes soldées par des échecs.


UN RETARD IMPORTANT ET COÛTEUX


En plus d’annihiler les efforts considérables en matière d’investissements d’infrastructures économiques et sociales, une gestion prudente des excédents commerciaux et un remboursement anticipé de la dette extérieure dont le ratio par rapport au PIB est l’un des plus bas du monde,  ce retard aura un coût considérable à moyen et long termes notamment en matière de performances économiques et financières, de compétitivité industrielle et d’attractivité et donc de développement économique et social.
Un coût qu’il faudra tôt ou tard évaluer et couvrir d’une manière ou d’une autre. Si l’évaluation peut être relativement aisée tant il existe des organismes nationaux, étrangers et internationaux qui possèdent des techniques et des moyens sophistiqués pour cela, la couverture de ce coût particulièrement pour ce qui concerne les montants et les contributeurs est le moins qu’on puisse dire éminemment politique, c’est-à-dire que cela dépendra des rapports de force entre les intérêts de ceux qui demain seront ou voudront être aux responsabilités du pays.


HARO SUR LES RESSOURCES DE LA NATION


A la lumière de ce qui devient actuellement une situation de plus en plus préoccupante, force est de constater que nous sommes dans ce que le prix Nobel d’économie, Joseph Stieglitz, appelle l’économie de la cupidité. Malgré une politique fiscale et des coûts salariaux et énergétiques que nous envient nos voisins marocains et tunisiens qui commencent d’ailleurs à délocaliser en Algérie, la presse est pleine d’exemples où les nantis et les privilégiés du système redoublent d’ingéniosité pour frauder le fisc, escroquer le client et transférer à l’extérieur la plupart de leurs excédants financiers y compris en s’alliant parfois au banditisme international. Quelle différence peut-il donc y avoir entre un chef d’entreprise qui déclare que «l’Etat a les moyens de sa politique sociale», un commerçant grossiste qui considère licite de ne pas payer d’impôts à un «Etat tyran» et ces responsables et «experts» de plus en plus nombreux qui offrent sans retenue leurs services à des organismes étrangers et multiplient les missions pour financer des familles installées à l’étranger et s’échinent à tout faire pour être pris en charge par le Trésor public y compris pour des dépenses personnelles locales et à l’étranger quand ce n’est pas le paiement de leurs droits à la retraite en devises ? Un manque de confiance frappant dans un pays qui recèle autant de richesses humaines et matérielles et une indignité envers une nation qui leur a tout donné !  


LA PARCIMONIE POUR LE DéVELOPPEMENT DURABLE


Principe général de maximisation de la cohérence en épistémologie, «sobriété heureuse» en philosophie, allocation optimale des ressources en économie ou épargne minutieuse, voire avarice dans la compréhension populaire, la parcimonie, à l’heure de la gouvernance et du développement durable, peut tout simplement être considérée comme une éthique de la gestion des affaires et des ressources publiques c’est-à-dire de l’intérêt général. Et l’intérêt général concerne autant l’Etat, ses démembrements et ses fonctionnaires que la société, ses membres et ses élites. Et comme il s’est agit tout au long de cette contribution de questions économiques, l’intérêt général de l’économie nationale à terme réside d’abord dans la meilleure préservation et le développement durable des ressources de souveraineté (énergie, eau et agriculture).  


DE QUELQUES PISTES POSSIBLES


L’économie nationale souffre d’un manque criant de rationalisation des dépenses, d’un droit des affaires indigent et de régulation adéquate précisément pour ce qui concerne les ressources de souveraineté. En matière de rationalisation des dépenses, il est temps de regarder ce qui se passe dans le monde, y compris dans les pays à forts revenus pétroliers qui montrent le chemin ! Et puisque les coûts, en économie, sont liés, les ajustements nécessaires des coûts des facteurs (travail, capital, technologie) seront inévitables même si des mesures en faveur des couches sociales ou des secteurs d’activités qui en ont vraiment besoin s’avéreront nécessaires ! Dans tous les cas, bon nombre de dysfonctionnements (gaspillages, corruptions, fraudes frontalières et fiscales…), qui grèvent l’économie sans pour autant la rendre plus performante, seront réduits à leur portion congrue.

Le reste suivra indubitablement. Bien sûr, il y aura de l’inflation, mais à terme, elle se stabilisera par la concurrence et la rationalisation de la demande. La modernisation du droit des affaires est l’élément essentiel de l’attractivité en matière d’investissements en protégeant la propriété, la prise de risques et la transparence des échanges. La régulation adéquate consiste aussi à faire appliquer la loi et à orienter de manière sélective les véritables activités porteuses de croissance et de développement économique et social en fonction de l’état réel de l’économie. Dans tous les cas, la situation sera autrement plus satisfaisante que ce qu’elle est actuellement et le pays recouvrera sans doute la place qui est la sienne dans le concert des nations.

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