dimanche 25 mars 2012

Drame de Toulouse : pour les élus locaux, "l'explication sociale ne tient pas debout"

"L'explication sociale de ce geste ne tient pas debout. Elle vaut pour les délinquants de droit commun, pas pour Mohamed Merah." Jean-Christophe Lagarde, maire Nouveau Centre de Drancy (Seine-Saint-Denis), comme de nombreux élus de villes de banlieue, observe avec attention les conséquences des événements de Toulouse.

La crainte d'une stigmatisation des musulmans est partagée par beaucoup d'élus : "Mon souci n'est pas de savoir si j'ai un Mohamed Merah dans ma ville, martèle le maire PS de Cergy (Val-d'Oise), Dominique Lefebvre. Mon problème est de réussir à être un maire suffisamment protecteur de ma population pour que les jeunes des cités ne soient pas montrés du doigt et considérés comme potentiellement dangereux depuis ce qui s'est passé à Toulouse."

"Les élus doivent être des relais, des passeurs du vivre-ensemble", insiste M. Lagarde. Pour cela, "il faut favoriser les relations entre les communautés religieuses, notamment à partir de l'école. La République doit faire ce travail", lance l'élu de Drancy.

Les maires observent les conséquences de la déscolarisation et le chemin qui mène des petits trafics à la délinquance et, parfois, à la radicalisation. "Des jeunes qui ont suivi ce parcours et qui collent au profil de ce garçon, j'en connais beaucoup dans ma commune", témoigne Xavier Lemoine, maire UMP de Montfermeil (Seine-Saint-Denis). "Des gens qui ont été en Afghanistan ou au Pakistan il y a quinze ou vingt ans en lien avec des milieux musulmans radicaux, j'en ai dans ma ville", explique également Stéphane Beaudet, maire UMP de Courcouronnes (Essonne). "Des islamistes, j'en ai repéré dans des clubs sportifs. On a fait en sorte d'empêcher que des réseaux ne s'installent", ajoute Gilles Catoire, maire PS de Clichy-la-Garenne (Hauts-de Seine).

"ON A UNE POLICE TROP CENTRALISÉE QUI EST AVEUGLE ET SOURDE"

Stéphane Gatignon, maire écologiste de Sevran (Seine-Saint-Denis), estime, lui, que les dérives de certains ne pourront être identifiées qu'en rétablissant une police de proximité au contact des citoyens. "On a une police trop centralisée qui est aveugle et sourde, qui n'a pas les moyens de voir quelqu'un dériver au jour le jour", souligne-t-il.

Les élus locaux s'agacent de voir cette évolution éludée dans le débat politique du moment. Stéphane Beaudet l'assure : "Bien sûr qu'il y a une islamisation rampante. Mais quand on dit cela, on nous traite de fachos ou on ne nous écoute pas !".

Les causes de cette radicalisation ne sont pas analysées de la même manière par les élus de terrain. "Regardez la littérature qui est vendue sur les marchés de Clichy-sous-Bois ou de Montfermeil, les sites Internet qui sont consultés dans certaines familles", s'indigne M. Lemoine, qui souligne le rôle des prisons dans "l'embrigadement".

"La radicalisation d'une partie de la jeunesse a commencé dans les années 1990 avec la guerre de Yougoslavie, puis avec l'Irak et le conflit afghan", développe le maire de Montfermeil.

"PAS UNE DÉCOUVERTE QU'IL EXISTE DES PHÉNOMÈNES DE GHETTO"

Le maire de Cergy, Dominique Lefebvre, insiste, lui, sur une autre réalité. La forte présence d'une population musulmane n'est pas synonyme d'intégrisme ni de danger, rappelle-t-il. "Ce n'est pas une découverte qu'il existe des phénomènes de ghetto avec une population d'origine étrangère, victime d'un délaissement et qui du coup a des problèmes avec la citoyenneté", rappelle-t-il.

"L'immense majorité des musulmans de France a un rapport à la religion parfaitement laïc", relève de son côté Jean-Christophe Lagarde. "La question centrale est celle de l'organisation et de la facilitation de la religion musulmane. Il faut offrir des espaces organisés pour éviter la victimisation. La méconnaissance de la religion par ceux qui sont attirés par elle, l'absence de cadre normal, normalisé, favorisent la progression d'un islam radical", explique le député centriste.

"Il faut effectivement éviter que se propage un islamisme de cave", abonde l'UMP Stéphane Beaudet. L'existence d'une grande mosquée à Courcouronnes lui a permis, raconte le maire de la commune, de "tisser des relations de partenariat avec les autorités religieuses, ce qui a permis de tenir à l'écart les radicaux groupusculaires", explique-t-il.

Pas si simple, persiste le maire de Montfermeil : "Lors des deux jours qu'a duré l'assaut pour déloger Mohamed Merah, j'ai rencontré des concitoyens musulmans effondrés, quelques-uns pleuraient, conscients de l'amalgame et du risque de stigmatisation pour leur communauté. Mais certains collégiens ont suivi durant toute la nuit de mercredi à jeudi le face-à-face entre les forces de police et ce tueur. Et ils jubilaient", s'inquiète M. Lemoine.

A Clichy-la-Garenne, Gilles Catoire observe un phénomène inverse : "Le drame de Toulouse a pour effet de ressouder les jeunes et les communautés dans la ville", remarque l'élu socialiste.

Eric Nunès

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