vendredi 16 mars 2012

Qatar et banlieues : les 6 raisons d'une soudaine discrétion

L'émirat, qui redouterait une victoire de François Hollande, a gelé son plan d'investissement de 50 millions d'euros pour les entrepreneurs des quartiers.


En décembre dernier, l'ambassadeur du Qatar à Paris, Mohamed al-Kuwari, annonçait la création d'un fonds d'investissement de 50 millions d'euros à destination des entrepreneurs des banlieues populaires françaises.

L'annonce avait fait grand bruit. Depuis, plus rien. Les dossiers affluent en nombre, mais l'ambassade de l'émirat ne donne pas suite. La conférence de presse prévue mi-février pour faire un point d'étape sur le projet n'a pas eu lieu.

Majid El Jarroudi, directeur de l'Adive (Agence pour la diversité entrepreneuriale), regrette cet immobilisme :

« Depuis décembre, nous avons reçu beaucoup de propositions. Mais, concrètement, rien ne bouge. L'annonce du Qatar est restée à l'état de déclaration d'intention. »

Le Qatar parle de problèmes d'organisation
A l'ambassade du Qatar, on justifie ce retard par de simples raisons d'organisation :

« On reçoit des dossiers tous les jours. On ne les a pas comptés mais cela se chiffre entre 100 et 400. On les range en attendant la constitution d'une commission d'experts chargée d'évaluer les projets. »

Mais cette équipe de professionnels devrait pourtant être installée depuis trois mois...

En communiquant très peu après une annonce aussi fracassante, l'ambassade laisse les autres interpréter le ralentissement, voire le gel, de son projet.

Le projet est polémique
Mathieu Cornieti, président de BAC, un fonds qui investit dans les banlieues françaises, explique :

« Ce projet prend du retard car c'est un projet polémique, donc compliqué à mettre en place. »

Il est vrai que tout le monde n'a pas accueilli l'annonce qatarie avec autant d'enthousiasme que Claude Guéant. Le ministre de l'Intérieur a tenu des propos très positifs, en janvier, lors d'une visite dans le quartier du Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie (Yvelines) :

« Je trouve que l'effort du Qatar, qui est un pays riche, de participer à la résolution de problèmes que rencontrent les communes de banlieue est un effort salutaire dès lors qu'il n'y pas d'exigence particulière de toute nature.

Tous les crédits sont à prendre dès lors qu'ils ne s'accompagnent pas d'exigences particulières. »

Nabil Ennasri, chercheur spécialiste de la géopolitique du Qatar, estime que le projet est gelé jusqu'à la présidentielle, au moins.


Le Qatar craindrait une victoire de Hollande
Selon lui, la monarchie gazière a été refroidie en constatant un manque d'enthousiasme chez les élus de gauche en banlieue. Idem au niveau national :

« L'ambassade se couvre, car si Hollande passe, le Qatar n'aura sans doute pas les mêmes relations avec la France. »

Ancien maire de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le sénateur (PS) Claude Dilain voit en effet une grosse limite à l'offre qatarie :

« Cela fait des dizaines d'années que je dis que ces territoires ont été abandonnés par la République française. C'est donc à la République française de les réinvestir.

Si ce n'était pas le Qatar mais le Mexique ou le Liechtenstein, je dirais la même chose : cette initiative aggrave cette idée d'abandon par la République. »

Adjoint au maire socialiste de Clichy, Mehdi Bigaderne pense que le Qatar a été « surpris » par l'ampleur du retour médiatique et des réactions politiques – « ça les a un peu ralentis ».

Sinon, il pense comme son ancien maire :

« Ce qui m'attriste, c'est qu'on doive attendre que des pays étrangers viennent s'occuper de nos projets. »

Le gouvernement entre soutien et gêne
Le ministre de la Ville, Maurice Leroy, n'apprécie pas du tout cet argument :

« La proposition du Qatar ne répond pas à un supposé désengagement de l'Etat dans ces zones urbaines sensibles. Au contraire, rien qu'au ministère de la Ville, le seul plan de rénovation urbaine représente 43 milliards d'euros.

Les modalités de mise en œuvre de ce plan ne sont pas encore tout à fait arrêtées et nous sommes en train d'étudier les moyens les plus efficaces pour mettre le mieux à profit cette proposition généreuse.

En cette période de crise mondiale, les initiatives de soutien ou d'appui à nos quartiers défavorisés ou à notre jeunesse en difficulté d'insertion sont à étudier. L'initiative du Qatar est une bonne chose, d'autant qu'elle ne s'accompagne d'aucune contrepartie ou conditionnalité. Il s'agit tout simplement d'une forme constructive et opérative de mécénat. »

Chez Guéant comme chez Leroy, un élément de langage revient : des financements sans contrepartie.

Dans l'émission « Parole de candidat », lundi 12 mars, Nicolas Sarkozy a répondu à une question d'un habitant de Villiers-le-Bel sur le Qatar en banlieue. Il disait la même chose au Président : le Qatar et les Etats-Unis investiraient plus que la France dans les quartiers.

Réponse de Sarkozy :

« C'est bien beau de mettre en avant le Qatar et les Etats-Unis, mais c'est faux. [...] Le plan de l'Anru, c'est 45 milliards d'euros. »

Entre le chef de l'Etat et son ministre, on n'est pas à deux milliards

Le Qatar a des contacts avec des associations
En plus de l'absence de contreparties, s'ajoute une exigence, qu'on retrouve chez les élus de gauche comme de droite : personne n'apprécierait que le Qatar aide des associations, voire des structures politiques.

Même si ce n'est pas dit explicitement, il s'agit d'éviter de donner à l'extrême droite un argument politique sur le thème « l'islam cherche à convertir nos banlieues ».

Selon différentes personnes interrogées au cours de cette enquête, c'est pourtant bien le cas : le Qatar est en contact avec des militants associatifs.

Reda Didi, président de Graines de France, pondère :

« Si certains militants associatifs et politiques sont en contact avec le Qatar, pour autant ce n'est pas une généralité. »

Sur cette question, l'ambassade se montre très gênée. Son porte-parole déclare :

« Il n'y a aucune information de cette nature. »

Le Qatar, qui ne donne pas d'autres raison officielle que l'attente de l'installation d'une commission, est en tout cas beaucoup plus frileux au printemps qu'en décembre vis-à-vis des banlieues. Par peur de la gauche ? Par crainte d'être accusé d'ingérence, voire de prosélytisme ?

Au Qatar, les investissements en France passeraient mal
Selon un proche de la famille régnante qatarie, la raison se trouve très loin des quartiers des banlieues françaises : au Qatar même. « La politique d'investissements massifs à l'étranger commence à faire grincer quelques dents sur place », croit savoir cette source.

Mais sans citer aucun signe concret d'infléchissement de cette politique, dont on vient d'apprendre qu'elle s'est traduite par un investissement au capital de Total depuis l'été dernier.

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