samedi 31 mars 2012

Une jeunesse désocialisée pathologiquement fanatisée

Après le temps de la vive émotion ressentie pour cette tragédie nationale, et notre identification douloureuse, nous, mères de famille, avec celles qui ont perdu leurs enfants, nous passons vers le temps de la réflexion partagée. Car la mort d'innocents nous touche tous, d'où que l'on vienne et quelles que soient nos convictions religieuses, philosophiques et politiques.

Nous souhaitons ici alerter, une fois de plus, sur le danger rampant des mouvements radicaux en leur opposant l'importance des valeurs humanistes. Pour nous, elles constituent le socle de notre République, la seule issue pour un avenir serein.

Mohamed Merah présentait toutes les caractéristiques identifiées chez les jeunes radicalisés : ils sont sans père ni repères, sans transmission culturelle ni religieuse, sans cadre, en rupture sociale. Si l'on en croit l'attitude de sa mère, elle est loin d'être singulière puisque nombreuses sont celles qui disent ne plus reconnaître leurs fils embrigadés et peinent à les faire revenir vers le droit chemin. Ces jeunes sont les victimes du système pervers d'endoctrinement pratiqué actuellement sur des cibles fragiles, parfois rejetées de la société. Marginalisation souvent à l'origine de troubles psychologiques.

Aussi, nous nous étonnons de la rareté des références aux déséquilibres mentaux dont peuvent souffrir les criminels de ce type. Les criminologues psychiatres ont beau évoquer cet aspect, l'écho qui en restera sera uniquement celui d'un activisme religieux.

Et cet écho échoue sur le mur de l'amalgame, malgré les mises en garde. Comme si parler de troubles mentaux était une façon de cautionner l'acte commis. C'est pourtant le contraire : dans la sociopathie, la maladie de l'individu révèle celle de la société, c'est la raison pour laquelle il faut en tenir compte pour remonter à la racine du mal et en préserver nos enfants. Car, au fond, quel être humain normal commettrait ce type de crime, s'il n'était pas psychologiquement déséquilibré ?

L'immense mutation sociale que nous vivons souligne la perte de limite et d'autorité. Elle favoriserait l'apparition de certains troubles psychiques, qui sont davantage dans le registre du passage à l'acte. Les jeunes "convertis" au salafisme avaient souvent des personnalités antisociales, auparavant investies dans la délinquance. On leur propose de vivre une mutation "morale" en "confessionnalisant" leur haine, tout en demeurant dans le passage à l'acte.

La dépression, aussi maladie du siècle, est rarement évoquée au sujet des kamikazes. Pourtant, quelle meilleure proie qu'un dépressif, menacé dans son humanité pour ces manipulateurs pervers qui se tiennent, eux, prudemment et cyniquement éloignés de la mort, en amenant les autres à tout perdre ?

Les prédicateurs les cannibalisent, les vident du peu de vitalité qui leur reste pour en faire des terroristes, c'est-à-dire des personnes qui ont perdu toute humanité.

Et ce phénomène prospère dans un monde en crise, devenu village grâce aux multimédias omniprésents, surtout dans un contexte d'oisiveté. L'accès aux informations vraies ou dénaturées y est sans limites, parfois jusqu'à l'addiction.

Les prédicateurs qui s'y expriment annihilent toute capacité critique pour subordonner l'individu à une communauté virtuelle autour de la suprématie de l'identité religieuse, puisqu'il ne se reconnaît pas dans d'autres identités. La perversité du mécanisme réside également dans cette prétendue unité totale entre des membres où l'individu n'a plus de droit en dehors des intérêts de cette communauté. On lui fait croire qu'il est dans le vrai contrairement aux "autres", c'est-à-dire tous ceux qui n'adhèrent pas à cette idéologie, les autres musulmans compris, premières victimes de ces mouvances.

On comprend ainsi l'urgence de cesser de définir "les musulmans" comme une entité homogène, car cela revient à se placer sur les mêmes postulats que les discours intégristes qui réduisent des individus à "leur dimension musulmane". Au contraire, les discours médiatiques et politiques doivent s'appliquer à valoriser l'hétérogénéité des parcours et des positionnements des individus à référence musulmane, croyants ou non-croyants, en les considérant comme sujets porteurs d'une histoire spécifique. C'est ainsi qu'en utilisant des registres d'expression différents, on brouillera le système de communication des radicaux.

Construire un mode explicatif du comportement des jeunes par "leur appartenance à l'islam" les réduit à leur "dimension musulmane". Cela entraîne des significations prédéterminées et enlève aux personnes la liberté fondamentale de se définir, en miroir des discours radicaux. Les généralisations sont doublement criminelles. On dit "musulmans", y compris pour ceux qui ne croient pas. Mais c'est sur leur faciès qu'ils sont qualifiés de tels. Pourtant, il n'y a pas plus un faciès musulman qu'il n'y a de faciès chrétien ou autre. L'islam a toujours été une différence. Désormais, il est devenu une catégorie quasi ethnique.

La banalisation de l'anarchie des termes pèse lourdement sur ceux qui sont avant tout les enfants de la République française et qu'il ne faut plus tenir éloignés. Il faut les rencontrer et leur montrer l'espérance et l'avenir commun possibles dans une France où le socle républicain, on le constate depuis cette tragédie, est finalement bien le véritable consensus de cette nation.

Aux responsables de tous bords de veiller à cette unité et de lutter contre l'instrumentalisation de la misère humaine par les manipulateurs. Cet appel est valable pour la France comme pour les pays en transition démocratique aujourd'hui dirigés principalement par des gouvernements islamistes. La proximité du religieux et de l'Etat n'a jamais fait bon ménage. Nous appelons les observateurs internationaux à ne pas la banaliser, car le glissement est facile.

Les partis salafistes demandent aujourd'hui leur reconnaissance. Cette éventualité inquiète autant les musulmans que les autres. Le traitement reste incontestablement la démocratie, l'éducation pour un développement économique et social : c'est notre seule issue.

Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre addictologue, et Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux

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