lundi 26 mars 2012

Investissement «de prestige» qui coûte cher à l’Etat zones d’ombre autour de la Grande mosquée d’Alger

Alors que les contrats de réalisation viennent d’être confiés à une entreprise chinoise (CSCEC), le projet de la Grande mosquée d’Alger n’a pas fini de susciter la polémique.


Ce n’est pas tant l’opportunité de réaliser en priorité un projet d’une telle envergure au moment où l’Algérie est incapable d’assurer sa sécurité alimentaire et qu’elle importe bon an, mal an pour 2 milliards de dollars de médicament, qui alimente la critique, mais surtout le véritable coût de cette réalisation.Cela d’autant qu’une étude préliminaire du projet, réalisée en 2004 et qui, selon son auteur, a été présentée au gouvernement en décembre 2004 (ce que nous n’avons pas pu confirmer auprès du ministère des Affaires religieuses, faute de pouvoir les joindre), avance un coût de réalisation aux antipodes de celui annoncé par les sources officielles. Les chiffres relayés par la presse, quant au montant du projet, vont de 1 à 5 milliards de dollars.

Mais le coût réel, selon Ahmed Madani, directeur de la communication au sein de l’Agence nationale de réalisation et de gestion de la mosquée d’Alger, serait de «1,09 milliard d’euros». Il englobe toutes les étapes du projet, précise-t-il, «de l’étude à la réalisation» et il a été «confirmé par le bureau d’études (allemand) et l’entreprise de réalisation».

Le docteur en économie, Fares Mesdour, qui réclame la paternité sur l’idée de ce projet, a réalisé une étude dans laquelle il estime son coût à dix fois moins que ce qui est annoncé officiellement, soit à «124 millions de dollars». «Dérisoire», pour M. Madani, qui n’a toutefois pas souhaité commenter cette étude dont il dit n’en avoir jamais entendu parler. Il considère pourtant qu’un tel montant ne suffirait même pas à réaliser «une petite mosquée». L’étude établissait le montant de réalisation de la seule mosquée (sans compter les annexes) à près de 52 millions de dollars.

Pour expliquer le faible montant de l’époque, au moment où un euro était déjà à plus de 1,3 dollar, M. Mesdour affirme qu’il était convenu que «l’ensemble du projet soit confié à des entreprises algériennes, ce qui fait que le coût estimé était minime». Or, les travaux d’études ont été par la suite confiés au groupe allemand KUK et KSP, la réalisation au chinois CSCEC, tandis que le canadien Dessau-Soprin assurera l’assistance de la gestion du projet. La société canadienne avait indiqué en annonçant avoir remporté l’appel d’offres en 2007, qu’elle concourait pour «un contrat de 2,2 milliards de dollars».

Des intervenants étrangers et des contradictions

C’est donc la multiplication des intervenants étrangers qui serait à l’origine du grand écart entre les chiffres officiels et l’étude préliminaire. M. Mesdour estime toutefois que le coût actuel reste «trop exagéré», surtout si l’on prenait en exemple certains projets similaires réalisés dans d’autres pays. La Mosquée Hassan II de Casablanca ou encore celle du Cheikh Zaid d’Abu Dhabi qui s’étendent tous deux sur quasiment la même superficie que la grande mosquée d’Alger (autour de 20 000 m²) ont coûté moitié moins, soit respectivement 500 millions et 510 millions de dollars, que ce qui est annoncé dans le cas algérien.

Mais pour le représentant de l’agence, M. Madani, il convient de considérer le projet dans son ensemble afin d’en mesurer l’importance. Car, outre la mosquée, il comporte également un musée d’art, une école coranique, un centre culturel islamique, un centre de recherche de l’histoire de l’Algérie et, en annexe, des commerces, des logements de fonction, ainsi que des jardins et des parcs de détente. Le projet n’a pas uniquement une vocation religieuse et culturelle, mais doit aussi être «un pôle attractif pour les touristes», selon M. Madani. En la matière, «l’ambition est très grande» et pourra conférer à la mosquée « une réputation mondiale, qui se ressent d’ores et déjà », reconnaît M. Madani.

Question de priorité

Pourtant, quelles que soient les ambitions de ce projet, certaines voix s’interrogent encore sur son timing au moment où le pays accuse des déficits dans de nombreux domaines.Pour M. Madani, «ce n’est pas l’enveloppe dédiée au projet de la mosquée qui va empêcher de réaliser des investissements dans la santé, le logement ou l’éducation, d’ailleurs l’Etat a dépensé et continue à dépenser pour ces secteurs».

Si l’opportunité du projet n’était donc pas à remettre en cause, la question se poserait alors en termes de priorités. «Il n’est pas prioritaire de construire une mosquée en ce moment, mais d’aller vers un investissement qui puisse réaliser le bien-être du citoyen», nous dit Dr Taibi, médecin dans le privé, pour qui le secteur de la santé est assurément l’un de ceux qui devraient bénéficier de cette priorité. Et pour cause, «les citoyens ont des peines à trouver des médicaments, surtout ceux qui souffrent du cancer, on ramène les dernières technologies médicales, mais on a aucune connaissance de leur maintenance, il y a une grande défaillance en matière de gestion», relève-t-il.

En parallèle, «l’Etat a fait beaucoup dans le populisme et a mis beaucoup d’argent dans ce qu’on appelle les investissements de prestige à travers des grandes manifestations culturelles ou autres» dont l’intérêt reste encore à démontrer. A titre d’exemple, il faut rappeler que le Festival panafricain d’Alger organisé en 2009 aurait coûté 100 millions d’euros (80 millions selon les chiffres officiels), que 5,4 milliards de dinars ont été mobilisés pour la manifestation Alger capitale de la culture arabe en 2007 et qu’au moins le double a été réservé à Tlemcen capitale de la culture islamique. Pendant ce temps, la facture d’importation de médicaments de l’Algérie est passée de 2,9 milliards en 2006 à 9,7 milliards en 2011.           

Safia Berkouk

 
 

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