mardi 27 mars 2012

Mourad Kezzar. Consultant en tourisme, membre de l’Association française des experts et scientifiques du tourisme «Le développement chez nous est devenu synonyme de grosses dépenses»

-La Grande mosquée d’Alger est présentée entre autres comme un futur pôle touristique à l’horizon 2015. Pensez-vous que ce type de tourisme puisse être attractif chez nous ?

Le tourisme, comme phénomène, est une industrie complexe. Le montage du produit touristique dépend de plusieurs autres sous-produits impliquant plusieurs acteurs. Le produit culturel suppose le montage de plusieurs sous-produits tels que les transports, les hébergements, les sites culturels (dont les mosquées, les églises, …), l’artisanat,… Une mosquée, une église ou une synagogue peuvent être des étapes dans un forfait voyage, pas plus. A mon sens, pour qu’un site touristique religieux devienne un pôle, il doit être la principale motivation du voyage. Une condition que seuls les pèlerinages peuvent réunir. Je vois mal des musulmans venir d’autres pays faire leur pèlerinage à Alger. Je vois mal aussi un Algérien de l’intérieur du pays dire : «Cette année, au lieu de faire une omra, je vais à Alger consacrer deux jours à la Grande mosquée.» 

Puisqu’on parle du tourisme culturel, je dirai que culturellement essayer de faire d’Alger une destination religieuse ne colle pas ! Je me demande pourquoi le développement chez nous est devenu synonyme de grosses dépenses. Si l’objectif de la création de cette mosquée est de doter le pays d’un site touristique religieux, je dirai qu’on risque de passer à côté. Mieux, nous avons déjà plusieurs sites et surtout un, au moindre coût, et culturellement faisable. Je parle de la basilique de saint Augustin et du site de Madaure. Il existe des chrétiens pour qui venir en Algérie sur les traces de saint Augustin est conçu comme un pèlerinage. Investissons dans ce marché alors ! Si, par contre, on pense qu’une fois achevée, la Grande mosquée d’Alger sera difficilement incontournable dans l’offre touristique locale, je dirai oui.

Une fois sur place, les gens aiment découvrir ces sites, mais à l’exception de la basilique saint Augustin, ils ne viennent pas spécialement pour les visiter. Cela n’est pas le propre de l’Algérie. On ne va pas au Maroc pour visiter spécialement la mosquée Hassan II à Casablanca ou la mosquée des Libraires à Marrakech. Mais on peut y penser lors du choix des visites et surtout une fois sur place. Bien qu’Istanbul, vendue comme rêve, ait cette carte postale d’une ville – minarets. On va en Turquie parce que le pays est doté d’une industrie touristique performante. Mais on ne peut découvrir Istanbul sans passer par la Mosquée bleue du sultan Ahmet, par Aya Sofia ou encore la synagogue Ashkénaz. Cela découle du fait que parmi les spécificités du tourisme culturel, il y a deux éléments importants.

En premier, c’est un produit qui ne fait pas de la concurrence aux autres produits. En second, le touriste se découvre une vocation culturelle une fois sur les lieux. Une grande propension de touristes ne décide de visiter les sites cultuels, dont les mosquées, qu’une fois au pays-destination.  Donc, oui une fois construite, la Grande mosquée d’Alger peut devenir incontournable pour les touristes en séjour à Alger.  

-Ce projet va mobiliser 1,5 milliard de dollars. A votre avis, aurait-on pu utiliser cette enveloppe plus efficacement au profit du secteur du tourisme ?

Il est bien dit que ce montant est destiné à la construction d’une mosquée, un investissement qui n’a rien d’investissement touristique.Je pense qu’on construit une mosquée, une église, une synagogue pour les besoins de la pratique religieuse et non pour le tourisme. Les initiateurs du projet et l’opinion publique doivent se poser des questions sur l’intérêt religieux d’un tel investissement et non sur son intérêt touristique. Seule la mission religieuse de ce projet doit justifier l’investissement. La mosquée – université Emir Abdelkader a été construite pour promouvoir un islam algérien face à la vague des «djamaâ» et la montée du wahhabisme dans les années 1970- 1980. A ce jour, aucun théologien algérien sorti de cette mosquée n’est considéré comme référence au sein de notre jeunesse. Je suis un spécialiste du tourisme et si l’on vient aujourd’hui me dire que la mosquée Emir Abdelkader est une réussite par ce qu’elle draine des centaines de touristes par mois, je dirai c’est bien, mais ce n’est pas sa vocation première.

La construction d’une mosquée n’est pas un investissement touristique. Elle peut favoriser l’offre, mais sans plus. Pour le tourisme, l’urgence est de rendre l’environnement moins hostile, de définir une fois pour toutes une stratégie nationale, de continuer d’organiser la profession comme il est en train de se faire actuellement, de privilégier l’approche économique, de mettre à niveau le parc hôtelier destiné aux vacanciers quitte à recourir aux stations balnéaires génériques, de continuer d’investir dans la formation et de lancer une véritable politique de qualité.

-Le tourisme religieux représente-t-il, selon vous, un potentiel de développement en Algérie qui mérite d’être exploré?

Oui, si par tourisme religieux vous entendez un sous-produit du tourisme culturel. Il y  a une demande potentielle sur ce sous-produit qu’il soit en réceptif ou en out-going. La demande est nationale et internationale. Avec la Tunisie, nous avons le monopole du sous-produit saint Augustin qui reste inexploité.  Même pour notre sud, une thématique religieuse existe. Les professionnels algériens incluent déjà le religieux dans l’offre touristique culturelle.
Actuellement, pour le réceptif, le passage devant les mosquées de Ketchoua, Djamma el kebir, la mosquée des pêcheurs, une halte à l’intérieur du mausolée de Sidi Abderrahmane  sont des étapes incontournables à Alger.  
C’est aussi le cas de Notre-Dame d’Afrique. A Constantine, la visite de la mosquée Emir Abddelkader, qui est dotée depuis 2001 de toute une organisation pour recevoir les touristes, est une évidence. Ne pas programmer la basilique saint Augustin à des touristes en passage à Annaba par un professionnel est difficilement justifiable.               

Safia Berkouk

 
 

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