mardi 27 mars 2012

COMMÉMORATION. L’AMITIÉ FRANCO-ALGÉRIENNE ENTRETENUE PAR DES INITIATIVES PERSONNELLES ET ASSOCIATIVES, À TRAVERS DES RENCONTRES POUR MIEUX COMPRENDRE LE PASSÉ, ET SES INCIDENCES SUR LA SOCIÉTÉ CONTEMPORAINE. Guerre d’Algérie : la marche des jeunes vers la réconciliation

Universitaire ayant fui son pays en 1993 par crainte d’y être assassinée, Assia Yacine renoue des ponts entre les deux pays, en créant des bibliothèques.

Qui sait que derrière la formidable initiative née à Dijon en 1998, consistant à créer des bibliothèques en Algérie, se cache le parcours douloureux d’Assia Yacine ? « Pendant la guerre, mon père, boulanger dans le village de Tigzirt, a été torturé. Il faisait partie des résistants contre une colonisation injuste… A l’indépendance, il est devenu fonctionnaire. Il est mort en Algérie à 79 ans, avec un sentiment de désillusion par rapport à l’avenir de son pays. » Et d’expliquer : « La cause du combat de la guerre était juste. Mais cette indépendance a été à nouveau confisquée. On est passé d’un état de grâce, où il n’y avait pas de chômage, où on avait le sentiment que le pays se reconstruisait avec plus de justice et d’équité, à tout autre chose.

Progressivement, la situation s’est dégradée en laissant de plus en plus de place à l’islamisme politique. J’étais devenue professeur de biologie à l’université d’Alger. Comme des milliers d’universitaires et d’intellectuels, gens de savoir et de culture dans les années 90-93, j’ai dû quitter l’Algérie car ma vie était directement menacée. Trois de mes collègues avaient été assassinés dans les locaux de cette même université par les terroristes islamistes. Les gens de ma génération, qui avaient peur pour leur peau, avaient repris pour leur compte l’expression utilisée pendant la guerre d’Algérie par les pieds noirs : « La valise ou le cercueil. »

Assia Yacine, aujourd’hui âgé de 58 ans, est arrivée en France en 1993, à Dijon en 1996. « Il m’a fallu dix ans pour me remettre de cette apocalypse : quitter son travail, sa famille, et se reconstruire ailleurs. Aujourd’hui, la situation de l’Algérie n’est pas réjouissante ; on n’entrevoit pas de perspective d’avenir pour notre jeunesse. Pourtant, celle-ci a un incroyable potentiel ! C’est aussi pour cela que nous avons fondé l’association “Un livre une vie”, pour faire de la résistance à l’obscurantisme, donner à lire, permettre l’ouverture d’esprit, permettre aux esprits de s’ouvrir sur la vie, sur l’univers. “La bibliothèque publique est une force vivante au service de l’éducation, de la culture et de l’information et un moyen essentiel d’élever, dans les esprits, les défenses de la paix et de contribuer au progrès spirituel de l’humanité”. Cette phrase, extraite du manifeste de l’Unesco, me porte, et guide nos actions, parce que les actions culturelles et artistiques concrètes contribuent à s’enrichir les uns les autres, à lever les préjugés, à cultiver la paix et la solidarité entre les peuples. »

3 000 livres par an
Concrètement, depuis 1998, l’association “Un Livre, une Vie” a créé huit bibliothèques en Algérie. Pour ce faire, elle y envoie 3 000 livres chaque année. De nombreux bénévoles travaillent à cette mission toute la semaine dans les locaux de l’association à Chenôve (1).

Des artistes et créateurs algériens, écrivains, musiciens, plasticiens, sont aussi régulièrement invités par l’association. « Le partage des savoirs, c’est de la réconciliation », souligne Assia Yacine, se sentant aujourd’hui avant tout “citoyenne du monde”.

« Le but est de cultiver la paix entre les peuples. C’est pourquoi nous organisons beaucoup de manifestations à Dijon, à Chenôve, en Côte-d’or, ainsi qu’en Algérie, pour amener les gens à débattre et à réfléchir ; parce que la culture est fondamentale pour élever les esprits. Et que l’éducation est l’un des piliers pour qu’une société puisse se porter bien. À ce titre, la suppression de l’enseignement de l’histoire dans certains programmes est grave. Quand on connaît son histoire, on est armés pour avancer. Le fait de ne pas la connaître peut entretenir des idées fausses, et être le ferment d’une évolution qui n’est pas souhaitable. Il faut aussi, dans la société, ne pas entretenir un climat suspicieux : stigmatiser la jeunesse française d’origine maghrébine qui, pour la majorité d’entre elle connaît peu ou mal cette partie de son histoire qu’est la guerre d’Algérie, constitue un frein au mieux vivre ensemble, et à l’épanouissement collectif. »

(1)Association Un livre, une vie, 22 boulevard Henri-Bazin, 21300 Chenôve.

Tel : 03 80 52 30 67. Courriel : unlivreunevie@yahoo.fr.

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