mardi 6 mars 2012

L’Emir Abdelkader, un personnage romanesque boudé par notre littérature


Cette semaine, Tlemcen a rendu hommage à l’Emir Abdelkader. L’homme d’Etat, le poète, le militaire, le philosophe… fascine toujours autant les historiens et les écrivains. Pourtant, en Algérie, peu de livres lui sont consacrés.

La littérature algérienne s’est rarement intéressée à l’œuvre de Abdelkader Ibn Mahieddine Al Husseini, considéré comme le fondateur de l’Etat algérien moderne. Le cinéma l’a complètement ignoré malgré l’importance du personnage, mis dans le contexte tumultueux du XIXe siècle. Waciny Laredj est le seul à avoir élaboré un roman à partir de la vie de l’Emir Abdelkader. L’écrivain Abdelkader Djemaï prépare, pour sa part, un livre. Paru en arabe puis en français en 2006 et en 2009, Le livre de l’Emir, roman historique de Waciny Laredj, se concentre notamment sur le rapport puis l’amitié entre l’Emir Abdelkader et l’évêque d’Alger Antoine Dupuch.
Mercredi, Waciny Laredj, également enseignant à la Sorbonne à Paris, est revenu sur «l’imaginaire littéraire et son exercice sur l’histoire» lors du dernier jour du colloque international «Abdelkader, homme de tous les temps», organisé par le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH), au palais de la culture Imama de Tlemcen. «L’histoire est le domaine des assurances pendant que la littérature reste le domaine des fragilités les plus visibles», a-t-il déclaré. Dans l’écrit littéraire, rien n’est définitif, tranché. «Le plus essentiel est que le roman est l’espace des grandes libertés. Le roman n’a de comptes à rendre à personne. Or, l’histoire doit justifier ses choix», a-t-il appuyé.

Dans le tragique

Selon lui, la grande histoire ne peut échapper à ses petites histoires. Il a cité l’exemple des livres d’Ibn Khaldoun, d’Al Messaoudi et de Tabary, jalonnés de petites histoires «qui renvoient plus à l’écriture libre qu’à une certaine science». D’après l’auteur de Les balcons de la mer du Nord, il n’est pas aisé de connaître les limites à la liberté d’écrire sur un personnage ayant réellement existé, un personnage «complexe et traversé par des regards contradictoires». Les événements qui ont entouré la vie de l’Emir Abdelkader «offrent» tous les ingrédients à l’écriture romanesque.
Il s’agit d’un personnage dans le tragique. Waciny Laredj l’a détaillé : «Batailles contre la colonisation, mais aussi contre les tribus rebelles, une dernière bataille douloureuse contre ses frères marocains, l’armée de Moulay Abderrahmane et ses fils (…) après le traité de Tanger qui a considéré l’Emir comme un hors-la-loi, avant de se réfugier chez les tribus rebelles des Beni Iznassen et entamer ses pourparlers avec Lamoricière, par personnes interposées, pour un arrêt final et digne de son rang, des hostilités et une reddition. Une nouvelle vie plus tragique que la première traversée par une détention et un exil durs.» Le romancier a reconnu avoir humanisé le personnage de l’Emir Abdelkader dans son livre pour le rendre accessible. «C’est-à-dire plus proche de nous, le faire parler et peut-être même prendre part à nos soucis culturels et politiques. Ecrire un roman historique, c’est aussi s’ancrer dans le présent. Le dialogue des civilisations faisait débat. J’ai trouvé en la rencontre entre l’Emir et l’évêque Dupuch un bel espace de ce débat», a-t-il soutenu.
 
Fayçal Métaoui

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