mercredi 14 mars 2012

Au passé du subjectif

Cela se regarde comme un livre d'histoire. Un livre d'histoire tout neuf, tout en couleurs et auquel il ne manque plus aucune page.
Le documentaire Guerre d'Algérie, la déchirure, diffusé dimanche 11 mars sur France 2, paraît neuf parce qu'il retrace en deux heures huit années qui, depuis un demi-siècle, n'avaient jamais été racontées ainsi à la télévision française : un récit chronologique, dépassionné, complet, de la "Toussaint rouge" de 1954 aux Accords d'Evian de mars 1962.e film de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora est tout en couleurs parce qu'il semble, depuis Apocalypse et la colorisation des images de la seconde guerre mondiale, qu'aucun documentaire sur l'histoire contemporaine ne puisse souffrir le noir et blanc. Alors rouge est le sang dans les rues d'Alger après les attentats, rouges les tomates lancées sur le président du Conseil, Guy Mollet, rouges les bérets des hommes de Massu, bleu le ciel au-dessus des Aurès, blanche la casbah, bleu-blanc-rouge les drapeaux qui s'agitent dans le sillage du général de Gaulle...

Redonner ses couleurs à la guerre, est-ce permettre de mieux la comprendre ou seulement la rendre plus spectaculaire ? Au début du documentaire, c'est moins le coloriage des images que leur bruitage qui gêne : le vrombissement des mouches autour des carcasses de moutons, le chant des cigales dans le maquis, le crépitement des flammes dans les villages incendiés... Puis, les effets s'estompent, le récit prime. Des lieux, des citations, des dates reprennent leur place dans l'histoire, retrouvent leur contexte, leur vérité : Sakiet Sidi Youssef, le "quarteron de généraux en retraite", le 17 octobre 1961...

La force du film est d'avoir renoncé aux témoignages pour tenir à distance les passions de la mémoire, mais le débat mené ensuite par David Pujadas était le bienvenu.

Cinquante ans après, on tenait enfin notre soirée façon "Dossiers de l'écran" sur la guerre d'Algérie. Ali Haroun, membre du FLN, a vécu dans la clandestinité à Paris. Il hoche la tête devant Danielle Michel-Chich qui a écrit un livre en forme de lettre à la responsable de l'attentat meurtrier où elle a elle-même perdu une jambe, et demande : "Est-ce que pour une cause, aussi juste soit-elle, on peut tuer un innocent ?" Dalila Kerchouche, née dans un camp d'internement de harkis en France, "porte en héritage la souffrance de ses parents". Le Père Guy Gilbert, appelé en Algérie, a "vu des militaires français devenir des petits nazis en très peu de temps".

A la concurrence des mémoires se juxtapose celle des violences : "La violence de celui qui opprime et la violence de celui qui se défend", dit l'Algérien ; "celle qui a atteint cette femme dans un attentat", répond le Père Gilbert ; "la violence qui a atteint les harkis", ajoute Dalila Kerchouche.

"Il faut dire clairement ce qui s'est passé et à partir de là on peut bâtir un avenir", pose l'ancien combattant du FLN en conclusion de la soirée. On vous a compris. La guerre d'Algérie ne pourra plus jamais être vue tout noir ou tout blanc.

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