La documentariste qui vient de réaliser "Ici on noie les Algériens", porte un regard sévère sur l'attitude des politiques à l'égard des événements liés à la guerre d'Algérie. Interview par Nébia Bendjebbour.
Comment est née l'idée de ce film ?
- A la sortie de mon film en 2008, "L'autre 8 mai 1945 – Aux origines de la guerre d'Algérie", j'ai réalisé que le public avait tendance à comparer les évènements du 8 mai (Les Algériens avaient revendiqué leur indépendance pendant les célébrations de la fin de la guerre et une répression s'en est suivie qui fera des milliers de victimes) et ceux du 17 octobre sur la répression. Il y avait aussi une confusion entre la manifestation du 17 et celle de Charonne, le 8 février 1962 (une manifestation française contre l'OAS réprimée et qui a fait 9 morts). Cela m'a interpellée car là, il y avait une mémoire qui recouvrait l'autre. C'est ainsi que j'ai décidé de me lancer de nouveau dans les archives de notre histoire.
A propos d'archives - elles sont terribles -, comment avez-vous travaillé ?
- J'ai eu accès à toutes les archives de France, celles de la Préfecture de police, celles du gouvernement… J'ai eu toutes les dérogations nécessaires. C'était un travail de titan. Mais cela m'a permis de me rendre compte que les Français à travers la presse, la radio ne sont pas restés muets devant cet événement, loin de là.
Qu'avez-vous voulu montrer avec ce film ?
- Ce film est une page commune de notre histoire avec l'Algérie. Ce sont des Algériens qui ont été réprimés mais cela reste un gros traumatisme également pour les Français. On le voit bien à travers les témoignages de médecins, de chauffeur de bus, des travailleurs, des Parisiens…
C'est un film du passé et du présent. On parle du passé mais avec des témoins qui sont ancrés dans le présent. Les images rappellent les rafles du Vel'd'Hiv en 1942, mais elles sont toujours d'actualité. Elles me rappellent le traitement fait aux sans-papiers et plus récemment l'évacuation de Roms dans un tramway. L'Etat réitère ses méthodes de répression. Les images d'aujourd'hui montrent malheureusement que le passé, c'est le présent. On peut se poser des questions sur les méthodes. Un exemple : A Argenteuil, la semaine dernière, après une projection et un débat, la police a appelé l'organisateur pour connaître le nombre de places et de gens présents ! C'est en octobre 2011 et c'est assez flippant. Est-ce que la réaction autour du film fait peur ? Depuis quand la police se met à surveiller les entrées de films ? La prochaine étape est la censure ?
Comment fait-on face aux familles des victimes ?
- Il est plus que normal et nécessaire que les familles aient des réponses sur la disparition de leur père, frère et fils. Ils ont le droit d'avoir des éléments de vérité, ne serait-ce que pour faire leur deuil. A travers mes projections, j'ai compris aussi que mon film n'est pas seulement attendu par ces familles mais qu'il y a une vraie attente d'un public plus large, il y a une réelle envie de savoir, de connaître seulement l'histoire. A travers mon film, je suis une des voix des victimes. Aujourd'hui, elles doivent se prononcer. Malheureusement, on ne leur donne la parole que le 17 octobre.
Pourquoi est-ce que cet épisode de l'histoire de France est occulté ?
-Tout simplement parce qu'elle n'est pas enseignée à l'école. Les politiques devraient se poser des questions. Le déni de l'histoire, c'est du ressort des politiques et non des citoyens. Il faut savoir regarder son histoire en face et l'Etat ne nous en donne pas les moyens en occultant le passé. Cela doit passer par des commémorations officielles, annuelles, dans les manuels scolaires. Les politiques ne jouent pas leur rôle. Il ne suffit plus de dire " Plus jamais ça ". Nous n'avons pas de leçon à recevoir car, nous, notre travail de citoyenneté est fait…
Et aujourd'hui, Nicolas Sarkozy demande à la Turquie de reconnaître le génocide arménien, alors qu'il devrait aussi reconnaître les pages sombres de notre histoire. Mais, c'est toujours plus facile de donner des leçons. Ce n'est pas un pardon de l'Etat qu'on demande, juste une reconnaissance officielle des événements.
Votre film peut-il servir de catalyseur ?
- J'ai fait ce film pour l'histoire, pas pour une date commémorative. Nous devons prendre en charge notre histoire. Les pages noires ne doivent pas être effacées, au contraire. Je ne peux que souhaiter à mon film longue vie et qu'il permette une prise de conscience enfin.
Nebia Bendjebbour – Le Nouvel Observateur
Yasmina Adi a été attachée de presse avant de devenir réalisatrice en 1997 et aujourd'hui est documentariste. "L'autre 8 mai 1945", son premier film a reçu de nombreux prix, en 2008. " Le 17 octobre 1961 " est son deuxième film.
Le nouvel observateur
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