Plus de trois millions de chômeurs, des plans sociaux annoncés tous les jours, par exemple 1430 emplois chez Alcatel-Lucent, hier, et les jours précédents Sanofi, Arcelor Mittal, Areva, Dexia, Crédit Agricole, Carrefour, Conforama, Fralib, Air France, Novatrans, PSA, Good Year, la liste est vertigineuse, mais le salarié viré n’est pas le personnage central de cette rentrée de crise. L’homme qui souffre le plus fort, sur le plan médiatique est un pigeon, et le pigeon est un chef d’entreprise.
C’est la caractéristique majeure de cette rentrée sociale. Une inversion foudroyante, qui pèse sur les négociations entre patronat et syndicats à propos de la sécurisation de l’emploi. Celui qui parle le plus fort, et qu’on entend le plus, n’est pas le groupe formé par les syndicats, qui représentent les salariés. C’est le Medef, donc le représentant des employeurs. L’appel au secours ne monte pas des victimes des plans sociaux, mais des victimes des impôts. Dimanche dernier, dans le Figaro, Laurence Parisot disait ainsi que « les chefs d’entreprises sont passés d’un avis de tempête à un avis d’ouragan », que « certains patrons sont dans un état de quasi panique », ou que « la situation est gravissime ».
Laurence Parisot est dans son rôle, mais la véhémence de son attaque est hautement symptomatique d’un basculement politique, au moment où, pour reprendre chacun de ses mots, des dizaines de milliers de familles « se retrouvent dans un état de panique absolue », créé par une perspective de chômage « gravissime », et que leur avenir est passé, lui aussi, « d’un avis de tempête à un avis d’ouragan ».
L’année dernière on s’interrogeait sur les abus de la richesse. Ce mois d’octobre on pose d’autres questions : « La France n’aime-t-elle pas ses entreprises ? » s’interroge gravement le dossier du Monde daté d’aujourd’hui. « Arrêtons d’accabler les entrepreneurs » écrit dans les mêmes pages un collectif de députés UMP. « Il faut sortir de la haine de la France vis à vis des riches » s’exclame l’économiste Thomas Picketty. « La finance est essentielle à l’investissement » explique Gérard Mestrallet le PDG de GDF Suez.
On croit rêver.
Il est classique que l’avènement d’un gouvernement entraine le renforcement du discours adverse. L’arrivée de la droite décomplexée, soupçonnée de connivence avec les riches, a ainsi provoqué la mise en accusation de l’argent. Et la victoire des socialistes déclenche un procès en réhabilitation.
Mais que cet effet mécanique soit si puissant qu’il fasse oublier le malheur d’une multitude d’anonymes est tout de même un symptôme que le gouvernement, officiellement soucieux de justice et d’unité nationale, ferait bien de prendre en compte. A la guerre, c’est vrai, les officiers souffrent souvent, mais il arrive aussi, pardonnez du dérangement, que les soldats soient de la chair à canon…
Mediapart
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