lundi 6 février 2012

Algérie - S'immoler par le feu a-t-il encore un sens?

Chaque jour, de nouveaux actes de désespoir sont signalés en Algérie. L’un des derniers en date a eu lieu le 26 janvier à Tiaret, à 350 km à l’ouest d’Alger.

Comme le raconte le site de RFI, Hichem Gacem, 25 ans, un vendeur ambulant de lunettes, s’est immolé «à la suite d'une altercation avec un policier qui a renversé son étal d’un coup de pied». Les Dernières nouvelles d’Algérie précisent que les forces de l’ordre auraient encouragé le jeune homme à se suicider.

«Hichem n'allait pas s'immoler, mais les agents de police l'y ont quasiment poussé en lui disant "ahrag rouhek la rak rajel’"(brûles toi si tu es un homme)», a expliqué la sœur du vendeur.

Ses obsèques qui se sont déroulées le 31 janvier, ont ensuite été marquées par des violences entre la population et la police. Une trentaine de personnes auraient été blessées durant ces affrontements. Interrogé par RFI, un habitant qui a souhaité conserver son anonymat, explique que l’immolation du vendeur montre le malaise de la jeunesse.

«Il y a une administration qui est verrouillée. Les espaces d’expression sont verrouillées. Il n’y a pas de théâtre, pas de cinéma. Il n’y a pas d’espace pour le sport. On a une piscine pour 250.000 habitants. Il n’y a rien. On ne communique pas avec ces jeunes-là, qui représentent plus de 50% de la société à Tiaret.»

Interpellé par cette vague de suicide par le feu, El Watan a mené une enquête dans «l’Algérie des immolés». Pour le journal, ces passages à l’acte ne sont pourtant pas nouveau:

«En épluchant les comptes rendus de presse, il ressort clairement que, contrairement à une idée largement répandue, les Algériens n’ont pas attendu Mohamed Bouazizi, l’icône de la révolution tunisienne, pour passer à l’acte. Même si l’année 2011 a connu une véritable explosion du phénomène, les immolations ont commencé bien avant».

El Watan avait déjà comptabilisé plusieurs cas en 2010, même si la tendance s’est accélérée ces derniers mois. Il rappelle notamment l’une des histoires les plus marquantes qui s'est déroulée en mai 2011:

«Cette femme résidant à Biskra, de condition modeste, mère de six enfants, dont quatre en bas âge. Elle a aspergé de carburant toute sa progéniture après s’être imbibée elle-même.»

Quelle réponses des autorités?

Les problèmes de chômage et de logement expliquent le plus souvent ces immolations, mais pour le quotidien algérien:

«Il apparaît que le panel s’élargit à des motifs frisant parfois la désinvolture comme le cas de ce jeune de Bordj Bou Arréridj qui s’est immolé au siège de la wilaya pour s’être vu refuser un récépissé de carte d’identité».

El Watan a aussi été frappé «par la multiplication des tentatives d’immolation collectives».

Le journaliste affirme que l'augmention de ces suicides nécessite une réponse urgente des autorités, mais selon lui elle tarde à venir:

«Au moment où nous abordons les législatives, force est de constater que l’assemblée sortante ne s’est à aucun moment donnée la peine de consacrer un débat en plénière à cette tragédie.»

Kamel Daoud du Quotidien d’Oran s’interroge aussi sur le désespoir de ses concitoyens. Pour lui, les immolations en Algérie ne peuvent pas lancer un mouvement général car elles ne répondent qu’à des revendications individuelles. «Je ne suis pas Bouazizi, je veux seulement un logement», a ainsi expliqué un homme qui a tenté de s’immoler.

Inquiet face au manque d’engagement politique des Algériens, le journaliste conclut finalement que l’immolation a un sens double:

«L'homme se brûle et brûle même le sens de son acte. Il a compris le message: on ne vous donnera le toit ou le baril ou de l'argent seulement si vous prouvez que vous n'existez pas et que vous n'êtes rien. Le choix entre exister et habiter. Avoir un toit ou une part de la rente est conditionné par une négation de soi, signée en bas d'un tas de cendres.»

Vu et entendu sur El Watan, Le quotidien d’Oran, RFI, Les dernières nouvelles d’Algérie

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