vendredi 24 février 2012

L’Algérie face à son destin : La démocratie ou le chaos

Entre optimisme béat des uns et le scepticisme défaitiste des autres, les réformes politiques en Algérie, bien que répondant à une pression régionale générée par les révoltes maghrébines et arabes ainsi qu’à une demande intérieure souvent mal formulée ou peu visible, tardent à voir le jour du fait de tergiversations et des pressions de partis siégeant au Parlement qui maintiennent le statu quo et qui demeurent réfractaires à toute reforme émanant des forces politiques qui ne s’inscrivent pas dans leur logique. Il est facile aussi de se complaire dans une attitude attentiste et de se draper de l’argument fataliste, disant que le pouvoir cherche à redorer son image à travers l’implication de l’opposition dans ses desseins, pour une consommation extérieure qui est au demeurant peu soucieuse de l’avenir démocratique de l’Algérie. Le changement ou les réformes politiques qui visent une refondation nationale sur une nouvelle vision qui se base sur les principes du respect de la personne humaine dans sa dignité, sa liberté et son droit à la justice, à l’équité et à une éducation de qualité ainsi que de la démocratie et le respect des libertés ne peuvent émaner que d’un mouvement social porté sur le changement, dont le porte-voix est à trouver dans cette élite porteuse de l’idéal d’une Algérie nouvelle. Les expériences les plus récentes dans notre voisinage immédiat renseignent sur l’ampleur du retard constaté entre le moment historique de la révolte populaire et le projet du changement proposé lequel profiterait davantage aux forces de la «stagnation historique», même auréolées d’un discours moderniste de circonstance. Le cas de la Libye est davantage problématique que révélateur d’un avortement d’une expérience démocratique en gestation qui s’est métamorphosée, par l’intervention directe de l’OTAN, en nébuleuse peu convaincante sur le plan du respect de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés. Les sociétés assujetties à des pouvoirs autoritaires sont souvent travaillées par des courants politiques radicaux et puisant leurs substances idéologiques dans les prismes identitaires, les cas de l’Egypte, du Maroc et de la Tunisie, font figure d’école dans le sens où les électeurs se réfugient temporairement dans un vote sanction contre l’injustice et les méfaits du pouvoir en place. Le cas du Mouvement d’Ennahdha en Tunisie et du PJD au Maroc viennent encore valider cette thèse déjà vérifiée ailleurs. Ce «vote sanction» se transformera en «vote conscient» après une courte période d’essai démocratique, et une fois le citoyen se rendant compte que ces mouvements, qui jouent plus sur le sentiment que sur la raison, sont incapables de répondre à ses préoccupations socio-économiques telles la garantie des libertés, une éducation de qualité pour ses enfants, une justice indépendante, une formation qui aboutie à un emploi durable… Aller, en outre, dans le sens d’accréditer la thèse consistant à dire que le soulèvement d’octobre 1988 constitue en soi une révolution populaire ayant balayé le parti unique, relève d’une interprétation simpliste du mouvement social et d’une lecture erronée de la réalité qui ne confirme pas, du moins, la mort de la pensée unique en Algérie suite à ces événements. Dire aussi que la situation en Algérie ne peut ressembler à celles prévalant dans les pays arabes ayant subi des révoltes populaires, pour la simple raison qu’elle avait connu une situation similaire en octobre 1988, relève, pour ceux qui crient sérieusement à cette thèse, de la naïveté politique, alors qu’elle s’apparente, pour ceux qui cherchent à durer dans le pouvoir en propageant ce mythe, à un égoïsme dévastateur qui se négocie même sur le dos des intérêts suprêmes de l’Etat. Certes, le pouvoir en place qui a verrouillé – en profitant de la situation sécuritaire, prévalant dans le pays durant les années de braises – la scène politique, en maintenant des débris d’institutions factices, a été fortement tétanisé par l’avertissement populaire du 5 janvier dernier. En organisant ses «consultations politiques», un show de bonne volonté politique, le pouvoir en place qui voulait échapper aux pressions extérieures, montre tout de même des signes d’ouverture dont l’appréciation juste et concrète demeure tributaire du contenu des nouvelles lois à promulguer. Malgré le peu de changement introduit à travers les projets de loi, il faut noter que les lois les plus importantes tardent à voir le jour, notamment le projet de loi sur les partis politiques et celui relatif à l’audiovisuel, démontrant de la sorte les tiraillements qui continuent à miner le système en place et la volonté, de beaucoup de parlementaires à continuer à entretenir la fermeture du champ politique et médiatique qui ne plaident pas en leur faveur ni en faveur de leurs partis. En réalité, tout le monde sait que l’arsenal proposé n’apporte rien de nouveau, alors qu’il fallait tout simplement s’atteler à appliquer les lois issues de l’ouverture politique des années 1990. Cependant, l’opposition ne détient aucun moyen pour l’heure que de mettre le pouvoir devant ses responsabilités, dans un contexte historique trouble, en le mettant devant le fait accompli. En dépit de ce constat, il demeure que la volonté réelle du pouvoir et ses desseins ne peuvent être vérifiés que sur le terrain, en l’acculant à accepter une véritable opposition et à négocier une sortie de crise bénéfique pour le pays. Dire qu’il est inutile de s’organiser en parti politique pour proposer des solutions à la société est aussi nuisible à l’avenir du pays, car, il faut bien admettre que ni les réformes ni d’ailleurs les révolutions ne viennent du néant. L’opposition ne peut être efficace que dans l’action. C’est ce que les différentes expériences des pays qui avaient réussi le pari de l’ouverture démocratique, après une longue période de despotisme et de dictature, nous enseignent aujourd’hui. Pour ceux qui, par paresse politique ou par calcul politicien, cherchent à dissimuler leur incapacité à s’imposer sur le plan populaire, en accréditant la thèse tendant à faire admettre que le pouvoir continue à louvoyer en se montrant permissif face à l’éventualité de création de partis d’opposition, en somme, en disant que le pouvoir cherche une légitimité en reproduisant une démocratie de façade, à travers de nouveaux acteurs d’une parodie de pluralisme politique à l’algérienne, la réalité qu’avec eux ou sans eux, le pouvoir perdurera en l’absence d’une opposition crédible et forte. Le contexte est propice aujourd’hui pour l’émergence de pôles d’opposition construits non pas autour du «zaïm» ni sur la base d’un partage d’influences qui est au demeurant éphémère, mais sur la base d’alliances stratégiques construites sur des programmes ayant pour objectif de remettre l’Algérie sur les rails du progrès. La solution et le salut de l’Algérie ne résident pas dans une bipolarité des forces entre ceux qui veulent maintenir le pouvoir en état, et qui ne cessent, au demeurant, de reproduire la faillite, et ceux qui comptent sur des révoltes sanglantes ou l’intervention des forces extérieures grâce à une zone «no flight» imposée par l’OTAN pour s’installer au pouvoir.Une transition négociée avec les forces politiques en présence ayant au préalable bénéficié de la bénédiction et de l’adhésion des masses populaires est à même à conduire le pays à bon port. Ainsi, il apparaît clairement que le pouvoir en place risque de conduire le pays vers le chaos s’il s’obstine encore à reproduire une transition imposée comme il l’avait fait dans les années 1990. Pour ce faire, il est aussi suicidaire de compter sur une opposition basée sur le zaïmisme ou un pouvoir dominé par une seule personne. Le zaïmisme a été la maladie infantile et fatale du mouvement national algérien et du mouvement de la reconstruction de l’Etat algérien indépendant. D’ailleurs, la petite fin de Ben Bella, le pseudo zaïm qui a sacrifié l’indépendance de la révolution algérienne, pour bénéficier de la bénédiction du pharaon du panarabisme du Caire, ainsi que la fin tragique de Messali El Hadj, qui a sacrifié un demi-siècle de militantisme nationaliste, pour assouvir un instinct nombriliste sont là pour nous renseigner sur les ravages d’une telle approche. Le zaïmisme est une faillite absolue, même quand il est dominant dans l’opposition. Que reste-t-il donc de l’opposition démocratique construite dans le feu et le sang, durant les trois premières années de l’indépendance ? Que reste-t-il des partis nés de l’impasse démocratique des années 1990. Rien. Absolument rien. Ces appareils politiques n’arrivent pas à peser sur le cours des événements. Si cette mort programmée est à mettre à l’actif des agissements malveillants et antidémocratiques du pouvoir, il n’empêche que la dérive zaïmiste est pour quelque chose dans cette chute libre de l’opposition algérienne. Cela ne veut pas dire que les partis politiques ne peuvent pas se construire autour d’un ou plusieurs leaders. Sauf, il faut l’admettre, du moins dans ce cas, que la qualité de leader s’arrache par le militantisme, par l’action sur le terrain et par le programme convaincant que la personnalité politique arrache à la faveur d’arguments justes et de sacrifices. Le changement politique ou les réformes ne viennent pas des mouvements spontanés des masses. Les situations prérévolutionnaires ne deviennent révolutions authentiques que quand elles sont muries grâce à un travail effectué par des organisations politiques porteuses de projets de sociétés. C’est ce qui explique d’ailleurs les attentes avortées du soulèvement populaire du 5 octobre 1988 et les statu quo générés par les révolutions «saisonnières» arabes qui s’agglutinent dans le marécage des débats idéologiques stériles. Aujourd’hui, et dans le cas algérien, le pouvoir en place gagnerait à ouvrir le champ politique en favorisant une approche du changement à travers des étapes négociées dans la sérénité et la paix sociale, au lieu de continuer dans son aventure actuelle, en s’agrippant encore à l’image du pouvoir personnel ayant montré depuis longtemps ses limites ailleurs, à travers souvent des bains de sang inutiles. Aujourd’hui, aussi, la possibilité du changement s’offre plus que jamais aux forces démocratiques, pour peu qu’elles s’organisent autour d’un programme politique, moins idéologique, mais porteur d’espoir de changement, à travers une alternative programmatique étudiée et franchement versée dans la démocratie, le pluralisme et le respect des libertés. Il est temps de s’affranchir de la tutelle de pouvoir personnel, de se libérer du mythe de «l’homme providentiel». Seule l’organisation politique résolument versée dans la modernité et attachée aux valeurs authentiques de la société algérienne peut répondre aux attentes du peuple pour l’édification, enfin, de cet état démocratique et social rêvé par les chouhada. L’Algérie est face à sa dernière chance d’opérer un changement démocratique, pacifique et serein. Il s’agit d’une chance historique pour tous les enfants de l’Algérie qui ont une meilleure idée de leur pays, pour unir leurs efforts, leurs forces et leur intelligence afin de sortir l’Algérie de son bourbier. Il s’agit aussi d’une chance historique pour ceux qui ont failli dans leur mission, de regarder l’avenir et de faire preuve, au moins pour une fois, de sentiment patriotique envers ce pays meurtri par plus de 7 ans de guerre pour l’indépendance et près de 20 ans de terrorisme. 50 ans après, la Déclaration du 1er Novembre 1954 ne cesse de nous interpeller sur notre devoir national, à savoir celui de l’édification d’un Etat souverain, démocratique et social, dans le cadre des valeurs de l’Islam.   Haider Bendrihem  

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