mardi 17 décembre 2013

Entretien avec le Premier ministre français Jean-Marc Ayrault

Entretien avec le Premier ministre français Jean-Marc Ayrault

À la veille du sommet algéro-français qui s’ouvre lundi 16 décembre à Alger, le Premier ministre français Jean-Marc Ayrault a accordé un entretien à trois médias algériens : El Khabar, El Watan et TSA.
L'axe Alger-Paris a du mal à sortir des relations passionnelles, avec comme point de mire les questions de mémoire et l'ère coloniale. Ces questions demeurent déterminantes pour toute normalisation, la France est-elle prête à ouvrir une nouvelle page tout en tenant compte des attentes de la partie algérienne ?

Lors de sa visite d’État en décembre 2012, le président de la République, François Hollande, a voulu que la France et l’Algérie écrivent ensemble une nouvelle page de leur histoire. Il a reconnu que, pour se développer, notre amitié devait s’appuyer sur le socle de la vérité. Et cette vérité, elle a été dite avec force et avec des mots jamais utilisés. Cette vérité ouvre la voie à la paix des mémoires. Elle permet aussi de prendre conscience de tout ce qui nous réunit et de construire l’avenir.

C’est sur cette base que la France souhaite avancer avec l’Algérie, sans rien oublier des blessures et des injustices et en poursuivant le travail de mémoire. Je me réjouis d’ailleurs que notre dialogue sur les archives ait repris, avec plusieurs réunions d’un groupe de travail, à Alger et à Paris, qui se retrouvera à nouveau en janvier prochain. En 2014, les commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale et du soixante-dixième anniversaire de la Libération seront aussi l’occasion d’honorer la mémoire des combattants algériens.

En décembre dernier, la déclaration d’Alger sur l’amitié et la coopération entre la France et l’Algérie prévoyait la mise en place d’un comité intergouvernemental de haut niveau, dont la première réunion était envisagée en 2013. Comme vous pouvez le constater, nos deux pays sont au rendez-vous. Et, j’en suis personnellement très heureux.

Les relations entre la France et l’Algérie sont exceptionnelles, à commencer par les liens humains tissés entre nos deux peuples. Il y a quelque chose d’inapproprié à leur accoler le terme de « normalisation ». De même, l’amitié a des côtés passionnels et la passion n’a rien de négatif, au contraire. A nos deux pays d’en tirer parti.

Quelles sont les aléas et les facteurs bloquants pour le développement des investissements français en Algérie et une présence plus accrue, d'autant que certains hommes d’affaires français évoquent l'instabilité juridique liée à l'acte d'investir, la bureaucratie et la corruption, et la centralisation de la prise de décision ? Qu'en est-il de la règle des 51-49% que certaines sociétés françaises ont acceptée à l'instar d'Axa, Renault et Lafarge ?

Nos deux gouvernements ont la volonté de donner un nouvel élan aux relations économiques franco-algériennes. Ils ont décidé de favoriser une relance équilibrée de nos échanges et d’encourager le développement des investissements entre leurs entreprises. Un comité mixte de suivi de cette relation, le COMEFA, a été mis en place. Il s’est réuni le 28 novembre dernier. Avec votre Premier ministre, nous aurons l’occasion d’intervenir en clôture de la rencontre économique algéro-française, à laquelle participeront, le 16 décembre, de nombreux chefs d’entreprises de nos deux pays. Ce sera l’occasion pour nous de rappeler notre ambition commune pour le volet économique de notre relation.

Notamment dans le cadre de la mission confiée à Jean-Pierre Raffarin, des progrès ont été réalisés, ces derniers mois, sur plusieurs dossiers qui concernent des entreprises françaises, comme Lafarge, Saint-Gobain, Sanofi, CMA-CGM… Il convient de poursuivre dans cette bonne direction et de résoudre toute difficulté qui pourrait entraver le renforcement de nos relations économiques.

A Oran, j’aurai l’occasion de me rendre sur le site de plusieurs projets emblématiques de notre partenariat, tels que la cimenterie de Lafarge à Oggaz ou l’usine Renault de Oued-Tlelat, actuellement en construction. Je prendrai aussi le tramway d’Oran, où sont impliquées plusieurs entreprises françaises comme la RATP et Alstom.

Les autorités algériennes ont conscience que l’environnement des affaires, en Algérie comme partout ailleurs, est la clé pour le développement des investissements étrangers et des partenariats industriels. Des assouplissements en matière fiscale et réglementaire ont déjà été apportés par plusieurs lois de finances. Ces mesures sont les bienvenues.

La région du Sahel connaît une recrudescence des activités d’Aqmi. Que peut apporter la France pour aider les pays concernés pour endiguer ce danger, sans que cela soit perçu comme étant de l’interventionnisme, surtout après l'opération Serval, où la France pourrait devenir une cible privilégiée ? Comment appréciez-vous le travail qui est fait dans le cadre de la coordination pour la lutte anti-terroriste, et qu'en est-il de la coopération sécuritaire entre Alger et Paris ?

La crise qu’a connue le Mali, ainsi que l’attaque d’In Amenas, ont malheureusement confirmé les menaces sur lesquelles la France avait alerté la communauté internationale de longue date. A l’appel des autorités maliennes et avec le soutien de l’Union africaine, mon pays a pris ses responsabilités. Dans cette décision difficile, l’Algérie a été à ses côtés et je l’en remercie.

Avec la Minusma, l’opération Serval a permis d’affaiblir considérablement les groupes terroristes présents au Sahel, à commencer par Aqmi. La menace n’a pas pour autant disparu et elle justifie la poursuite de la mobilisation internationale. L’opération de maintien de la paix des Nations unies est montée en puissance. Elle continuera à bénéficier du soutien de la France.

Avec l’Algérie, dont je n’oublie pas le lourd tribut qu’elle a payé dans sa lutte contre le terrorisme, la concertation est permanente. L’Algérie est pour la France un partenaire important au Sahel et plus généralement en Afrique. La participation de votre Premier ministre au Sommet de l’Élysée sur la paix et la sécurité en Afrique a été très active et très utile.

Sur aucun théâtre, la France ne cède à je ne sais quelle tentation de s’ériger en « gendarme de l’Afrique ». Hier au Mali, comme aujourd’hui en République centrafricaine, elle intervient à la demande des pays et des organisations régionales concernés, comme dans le cadre d’un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies. En cela, elle ne fait qu’assumer ses responsabilités internationales.

L'Algérie semble se détourner de la France en tant que partenaire pour l'acquisition du matériel militaire français au profit des Italiens, des Allemands et des Britanniques en plus des Russes. Est-ce qu'il y a des conditions pré-requises pour la vente d'armes à l'Algérie du côté français ?

Compte tenu des enjeux sécuritaires et des menaces qui pèsent sur la région, notre coopération en matière de défense revêt une grande importance. La France est d’ailleurs liée à l’Algérie par un accord de défense, qui a été ratifié par mon pays après l’élection de François Hollande. Nous devons construire sur cette base.

Notre coopération inclut des exercices communs, des actions de formation au bénéfice de l’Armée nationale populaire, un dialogue stratégique. Les questions d’armement sont un volet important de notre partenariat. La France a pour habitude de proposer des coopérations industrielles qui répondent au souci des pays qui choisissent de lui faire confiance de développer la part locale. Nos entreprises sont à la disposition des autorités algériennes pour répondre au plus près aux besoins de votre pays.


Que recouvre le concept de partenariat d’exception que veulent construire l’Algérie et la France ? Quels sont ses fondements ?

La France et l’Algérie sont unies par des liens d’une variété et d’une densité extraordinaires. C’est la réalité. Une multitude d’aventures individuelles ou collectives font vivre au quotidien notre relation et en constituent le ciment. La volonté de nos deux gouvernements est de favoriser leur épanouissement.

La visite d’État du président de la République a ouvert une nouvelle page, en créant un climat qui permet de construire entre la France et l’Algérie un partenariat stratégique d’égal à égal, au service de nos deux peuples et, en particulier, de nos jeunesses. Et ce que nos jeunes attendent, c’est que nous trouvions ensemble les réponses aux défis auxquels nos sociétés sont confrontées. Je pense naturellement aux ravages du chômage.

D’ores et déjà, notre dialogue politique est au beau fixe et je me réjouis de présider, demain, avec mon homologue algérien, la première réunion du Comité intergouvernemental de haut niveau. Il n’y a pas un domaine où des progrès n’aient pas été enregistrés depuis un an, qu’il s’agisse de la dimension économique de notre partenariat, de sa dimension humaine, de notre coopération culturelle, éducative, universitaire ou scientifique. A nos deux pays d’entretenir cette dynamique.

La « décrispation » des relations bilatérales est-elle appelée à s’inscrire dans la durée ? Reste-t-il entre les deux parties des sujets tabous, qui soient polémiques ou qui fâchent ?

La déclaration d’Alger sur l’amitié et la coopération entre la France et l’Algérie, signée l’an dernier, nous engage pour l’avenir. Devant les deux chambres réunies du Parlement algérien, le président de la République avait évoqué, l’an dernier, tout ce que nous pouvions faire ensemble, pour les cinquante prochaines années ! Il avait aussi rappelé les trois exigences au cœur de notre partenariat : la reconnaissance du passé, dans le respect de toutes les mémoires ; la solidarité entre nos deux nations ; l’espérance pour les jeunesses d’Algérie et de France. Sur un socle aussi solide, il ne saurait y avoir de sujets tabous entre deux pays liés par une amitié qui permet la franchise et s’inscrit dans le respect mutuel.

Une des dimensions de la relation algéro-française, et non des moindres, est humaine. Quelles mesures pour amplifier, fluidifier et faciliter la circulation des personnes entre les deux pays ? Votre gouvernement abandonne-t-il le projet de révision de l'accord bilatéral de 1968 régissant la circulation et le droit de séjour des Algériens en France, voulue par la précédente majorité de droite ?

La dimension humaine est l’un des piliers de notre relation bilatérale. Elle fait partie de la déclaration d’Alger et répond à l’intensité des liens entre les personnes qui sont la richesse de notre partenariat.

Il y a un an, le président de la République avait constaté que l’accord de 1968 était, en réalité, un bon accord, dont il suffisait d’améliorer la mise en œuvre. C’est exactement ce que nous avons fait, depuis lors, en facilitant la circulation des personnes entre les deux pays. En 2013, la France devrait délivrer quelque 250 000 visas en Algérie, soit une augmentation de près de 20% par rapport à 2012. Le taux d’acceptation a lui aussi augmenté, pour atteindre 75%, et près de la moitié des visas délivrés sont des visas à entrées et sorties multiples et de longue durée. Les conditions d’accueil des demandeurs ont été améliorées, avec le recours à Alger à un prestataire de service. La liste des documents demandés a été simplifiée pour certaines professions qui contribuent activement à notre relation bilatérale. Toutes ces évolutions sont très concrètes et témoignent de notre volonté de traduire nos paroles en actes.

La mobilité des personnes n’est pas une question à sens unique. L’entrée, la circulation et le séjour des Français en Algérie devraient également être améliorés. Les relations franco-algériennes en bénéficieraient.

Paris souhaite voir des entreprises algériennes publiques et privées venir investir en France. Quel est l'intérêt pour les entreprises algériennes ? Cette attente n'est-elle pas contradictoire avec les demandes insistantes d'Alger concernant les investissements français ?

Tout partenariat économique durable doit reposer sur l’équilibre. La France s’est engagée à promouvoir des projets de partenariat industriel et productif qui correspondent à la priorité qu’attachent les autorités algériennes à l’industrialisation et la diversification de l’économie de votre pays. Cette volonté se traduit dans les faits par des investissements qui font de la France le premier investisseur en Algérie, hors hydrocarbures. 450 entreprises et entrepreneurs français y sont implantés et génèrent 40.000 emplois directs et 100.000 emplois indirects.

Il n’y a aucune contradiction à ce que les opérateurs économiques algériens investissent en France. Les investissements croisés sont, au contraire, une manière de créer des solidarités concrètes qui contribuent à renforcer les relations entre les Etats et entre les peuples. Des acteurs économiques algériens manifestent un intérêt pour investir en France. Le message que je leur adresse est qu’ils sont les bienvenus. Le développement d’investissements algériens en France représenterait un signal politique fort.

L’un des volets de ce séminaire intergouvernemental sera la circulation et la formation des étudiants algériens. Concrètement, quel objectif se fixe la France ? Quelles mesures pourraient être annoncées le 16 décembre ?

La période pendant laquelle la France voyait les étudiants étrangers comme une sorte de menace est révolue. Au contraire, nous sommes convaincus que la mobilité des étudiants est une chance pour les pays d’accueil, comme pour les pays d’origine.

Entre la France et l’Algérie, la coopération universitaire est particulièrement dynamique. Avec 22.000 étudiants, les Algériens forment la troisième communauté estudiantine étrangère dans mon pays. Chaque année, ce sont plus de 3.500 visas pour études qui sont délivrés à vos compatriotes. Mais, au-delà des chiffres, la qualité et la réussite des parcours d’études sont essentielles.

C’est pourquoi le renforcement du capital humain fait partie des axes prioritaires du document-cadre de partenariat, signé à l’occasion de la visite du président de la République et qui régit notre coopération jusqu’en 2017.

Nos deux pays sont confrontés au défi de l’emploi des jeunes. Notre objectif est donc de renforcer les filières professionnalisantes et l’employabilité des jeunes diplômés. C’est le rôle des instituts d’enseignement supérieur et technologique à Bouira, Ouargla, Tiaret et Oum el Bouaghi, dont je me réjouis de l’ouverture pédagogique en septembre dernier. Ce projet, inspiré des IUT français, est un bel exemple de ce dont nous sommes capables de faire ensemble au service de nos jeunesses.

Ma visite sera l’occasion de concrétiser plusieurs partenariats nouveaux en vue notamment de créer une école des métiers de l’industrie ou une école nationale d’economie industrielle, impliquant des établissements algériens et français, comme l’Ecole des Mines ou l’Ecole d’Economie de Toulouse. Elle permettra aussi de franchir une étape supplémentaire dans le domaine de la formation professionnelle, avec l’annonce d’un partenariat entre les ministères français et algériens compétents et l’entreprise Schneider Electric pour mettre en place un institut de formation dans les métiers de l’électricité.

Au cours de ma visite, j’aurai l’occasion d’évoquer tous ces projets avec les étudiants de l’école nationale polytechnique d’Oran.

Lors de son intervention au sommet France-Afrique, François Hollande s’est fixé comme cap le doublement du volume des échanges entre la France et le continent d’ici cinq ans. Quelle place doit prendre l’Algérie dans ce partenariat renouvelé ? Autrement dit, l’Algérie est-elle amenée à prendre davantage sa place en tant que puissance régionale alors que la Chine vient de passer devant la France comme premier partenaire de l'Algérie.

Le Sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique a surtout été l’occasion d’adresser un message de confiance à l’égard de ce continent. Il a invité tous les acteurs économiques à porter un nouveau regard sur les opportunités qui existent et qui ne feront que se renforcer à l’avenir.

La relation économique franco-algérienne doit tirer le plein bénéfice de cette dynamique. C’est le vœu de la France.

La première réunion du comité mixte économique franco-algérien a été l’occasion, pour les deux parties, d’exprimer leur souhait de rester des partenaires économiques de premier rang. La France a confirmé sa volonté de demeurer le premier partenaire économique de l’Algérie. Au-delà de performances en partie liées à des facteurs conjoncturels, il nous appartient de travailler ensemble à la concrétisation de cette ambition.
TSA

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