dimanche 17 juillet 2011

Tichy-Littoral de Béjaïa : Sauver la saison à tout prix


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Il est presque vingt heures mais quelques estivants ne veulent pas encore décamper de la plage de Tichy. Un vendeur de beignets, venu comme chaque été de Khemis Miliana, ou Boubacar, l’étudiant malien qui cherche à fourguer ses lunettes et autres babioles, sont reconnaissables à des centaines de mètres.
Même en milieu de journée, la vue n’est pas obstruée par une forêt de parasols.  Personne n’est mieux placé que ces jeunes qui  en louent  à 100 DA pour établir le constat. «Tichy cette année attend encore les vacanciers». Les lieux ne sont certes pas déserts notamment les week-ends mais on n’est plus astreint à réserver une place dans un hôtel ou un camping des mois à l’avance. A la plage, on n’a pas à tourner longtemps, à se faufiler entre torses et jambes pour dénicher un coin où planter son parasol.  Hacène Khoufache, qui gère un camping familial «Le Bronx» à deux pas de la mer, propose encore des places. «Non, dit-il, les récents événements n’ont pas dissuadé les gens de venir». Dans bien des cas, selon lui, «ça a été même  le contraire». Dans le jardin familial où son jeune frère s’occupe de la buvette, des familles des Aurès ou du Sud sont déjà là. «Le Bronx» propose la tente, une cuisine collective pour un séjour d’une semaine au coût de 10 000 DA. Sur les 43 campings, quatre sont situés à Tichy.  Implantés entre des constructions élevées, ils n’attirent que par des tarifs qui contrastent avec ceux des hôtels plus inaccessibles. Quelques familles, comme les Manceur venus d’Oran, ont opté pour une location chez un privé. «Nous avons loué un niveau de villa pour 120 000 DA et jusque-là je suis satisfait et je ne sens pas cette angoisse distillée par la presse», nous dit Ahmed, ingénieur à Sonelgaz. «On m’a juste prévenu qu’il ne faut pas trop s’éloigner, à la tombée de la nuit, du centre pour éviter des jeunes éméchés». 
Ses deux enfants se disent contents de découvrir une ville et sont encore sous le charme de la visite des grottes d’Aokas. Dans cette commune limitrophe, on recourt aussi à cette location estivale. La plupart des habitants encaissent un loyer variant entre 4.000 à 10.000 et  remontent vers Tabelout, Aït Aïssa ou Aliouane.          
Au loin, se profile les luxuriants Pic des singes, Yemma Gouraya et le Cap Carbon, illuminés par les rayons du soleil couchant. En ville, sur le boulevard qui traverse de bout en bout la localité ou dans les rues adjacentes, des femmes  en groupes, des jeunes circulent tranquillement, marchandent dans les boutiques d’artisanat ou s’attablent à quelques terrasses. Des familles s’agglutinent devant un manège et les retardataires, jusqu’à 22 heures, peuvent prendre le bus pour rentrer sur Bougie.
De manière visible, le nombre de policiers a augmenté, les rondes se sont multipliées pour assurer la sécurité et parer à toute éventualité. Les manifestations qui ont vu des jeunes saccager quelques véhicules et des hôtels comme le Syphax ou la villa d’Este sont encore dans les mémoires. «Le calme est revenu, nous dit un  réceptionniste au Club Alloui, la discothèque travaille mais les filles se montrent plus discrètes car le feu couve sous la cendre, sait- on jamais». «L’hôtel est rempli à moitié et  peut-être les dernières semaines de juillet sauveront une saison mal partie», ajoute-t-il. On entend cette appréciation et ce vœu partout. «Regardez, la plupart des restaurants sont vides, quand une ou deux tables sont occupées, on se frotte les mains», nous confie Mouloud qui consent comme tant d’autres à sourire pour attirer des rares clients. Ce soir, Abderrahmane est de passage pour régler une affaire avec le patron du restaurant où nous dînions. «Le commerce n’est plus florissant comme avant», assène-t-il  et il le prouve par des chiffres.
«J’ai préféré louer cet été à 60 millions de centimes ma pizzeria, car les rentrées fondent comme neige au soleil. J’ai fait un bénéfice net de 150 millions en 2008 et l’année d’après 100 millions de moins et j’ai perdu davantage l’an dernier.» Pour  celui  qui semble avoir une calculette dans le cerveau tout s’explique par l’argent. «Les émigrés calculent moins, mais les nôtres, pour la plupart, préfèrent préparer les repas dans leurs cuisines».  «Dans une ville où les restaurants n’ont rien d’autre à offrir qu’une bouffe dont rien ne garantit la qualité, vaut mieux rester chez soi et créer son propre univers», estime  Hocine, dentiste venu d’Alger.     Hormis les week-ends, on ne se marche plus sur les pieds dans cette station balnéaire qui, à une quinzaine de kilomètres de la capitale des Hammadides, était devenu un haut lieu du tourisme. Certes, les étrangers ont déserté les lieux mais de tout le pays, le calme, la beauté de cette frange d’une côte attiraient des milliers de nationaux. Les cabarets dont les enseignes sont visibles dès l’entrée en font un haut lieu des plaisirs.
«On a fini par payer cette permissivité», nous dit un jeune qui soutient à fond ceux qui «militent» pour le départ des prostituées. Elles sont moins visibles, la plupart se sont rabattues sur des hôtels de Béjaïa pour se faire oublier en attendant que la situation se calme. Les avis sont partagés sur cette question. D’aucuns  estiment que les jeunes qui protestent veulent saboter le tourisme qui fait vivre la ville.   Pour d’autres, cette activité peut prospérer sans cette clientèle qui a souillé la réputation de  Tichy. Pour Mourad, un chauffeur dans une administration publique : «Celui qui ne veut pas ou ne cherche pas ce genre d’endroit, peut les éviter». Par contre, pour un jeune de Tichy qui ne ravale pas son courroux : «Même les bus ne s’arrêtaient plus pour faire monter nos familles croyant que toute femme accompagnée d’un homme est de mauvaises mœurs».
La responsabilité des habitants (ce sont eux qui gèrent les cabarets) dans cette dégradation supposée des mœurs n’explique pas tout. La physionomie physique et humaine de la  ville a beaucoup changé. La multiplication des agences immobilières a permis l’installation de nombreuses personnes venues d’ailleurs. Elles  se sentent moins obligées de respecter la morale ambiante dans des cités où ne se connaît pas entre voisins. Tichy n’est plus ce village où des habitants des hauteurs sont venus s’installer. Ils n’ont même pas de cimetière. Ils continuent toujours à enterrer leurs morts dans les villages d’origine. Beaucoup estiment que le tourisme peut faire bon ménage avec la respectabilité, sans trop bousculer des habitants qui se sentent quelque part  agressés. «Il est difficile de s’y retrouver, nous explique un confrère, car on ne respecte pas encore les choix des individus d’un côté comme de l’autre». «Consommer une bière ou un verre à table ne fait pas de vous un soudard, mais croire aussi qu’on peut faire fi de la culture locale est une aberration.» 

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