lundi 18 juillet 2011

Travail au noir en Grande-Bretagne
Les clandestins algériens traqués
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Samia Lokmane-Khelil 
Les services britanniques de l’immigration n’ont jamais été aussi occupés. Depuis plusieurs mois, ils multiplient les descentes dans les ateliers, les restaurants et les entreprises, à la recherche de travailleurs étrangers en situation irrégulière. Un certain nombre d’Algériens figure parmi les individus arrêtés. La plupart travaillent dans le domaine de la restauration, quelquefois dans des enseignes prestigieuses.
Fini le temps ou les sans-papiers algériens pouvaient travailler au noir, en Grande-Bretagne, sans crainte de se faire attraper par la police. Comme l’ensemble des immigrés clandestins, leur présence était plus ou moins tolérée. “Rien ne pouvait t’arriver tant que tu restes tranquille dans ton coin”, confie Dahmane, l’un des précurseurs de la vague migratoire algérienne au Royaume-Uni. Il est arrivé dans le pays à la fin des années 1980. Ne disposant pas d’un titre de séjour légal dans le pays, il s’est débrouillé comme tout le monde, en se procurant un faux passeport français. Grâce à cette identité usurpée, il avait réussi à se faire embaucher par la chaîne de restauration rapide Burger King, où il a fait carrière pendant quelque temps. De vendeur à la caisse, il est devenu gérant d’un restaurant. Dahmane profite volontiers de son rang et emploie des compatriotes. “C’était ma seule manière de les aider”, relate-t-il. En arrivant au Royaume-Uni, la plupart des Algériens se dirigent automatiquement vers les métiers de la restauration, un des rares milieux professionnels où ils n’ont pas besoin d’avoir des qualifications et de parler couramment la langue du pays. Ils commencent généralement à la plonge. Certains apprennent sur le tas. Ils deviennent commis de cuisine ou garçons de salle. Leurs modiques salaires suffisent à peine à payer le loyer d’une colocation, en attendant des jours meilleurs. Certains ont vécu de longues années dans l’ombre, avant de pouvoir régulariser leur situation administrative dans le pays, apprendre parfaitement l’anglais et décrocher de meilleurs emplois. Leur réussite a gommé les souffrances qu’ils ont endurées et a donné l’envie à d’autres jeunes de tenter la même expérience. Mais ce n’est plus aussi facile.
Les employeurs pénalisésAujourd’hui, même les immigrés légaux ne sont pas les bienvenus dans le royaume de Sa Majesté. Confronté à une crise économique sans précédent, le pays cherche des coupables. À côté des banquiers indélicats, figurent les étrangers, voleurs d’emploi. Après avoir procédé au durcissement des conditions d’octroi des permis de travail, le gouvernement fait désormais la chasse aux employés illégaux. La traque est quotidienne, sans merci. Elle s’est accentuée suite à l’adoption, en 2007, d’une loi qui expose les employeurs à de fortes amendes. Des brigades mixtes des services migratoires et de sécurité font des incursions régulières dans les entreprises, les ateliers, les restaurants, pour débusquer les étrangers et sanctionner leurs patrons. Les descentes ne ciblent pas seulement de sombres manufactures chinoises de textile ou des gargotes crasseuses. Des enseignes prestigieuses sont également visitées. Au début du mois de septembre 2010, des Algériens étaient arrêtés dans un atelier de catering situé à Wandsworth, au sud de Londres, et appartenant au célèbre restaurateur Gordon Ramsay. Ils avaient été interpellés avec un certain nombre de ressortissants d’Afrique noire, originaires du Liberia, du Congo, de Côte d’Ivoire et du Togo. Leur travail consistait à emballer des plats cuisinés. L’implication du chef étoilé dans ce scandale a provoqué des remous dans les médias. Certains ont accusé Gordon Ramsay de faire des économies d’épicier en employant une main-d’œuvre clandestine et bon marché. Un autre restaurateur de renom, Marco Pierre White, a fait l’objet d’attaques similaires, après avoir reçu une visite des agents de la police des frontières (UK Border Agency). Dans Frankie’s, un de ses établissements, situé a Chiswik, les inspecteurs ont mis la main sur un Brésilien et un Algérien en possession de faux papiers d’identité. Ce n’est pas la première fois que le restaurateur est accusé d’employer des étrangers en situation illégale. Une inspection d’un second établissement, quelques mois plus tôt, avait abouti aux mêmes résultats. Les contrôleurs ont passé les menottes à deux ressortissants étrangers d’origines brésilienne et équatorienne, dans l’incapacité de produire des titres de séjour authentiques. À l’instar des autres employeurs contrevenants, Marco Pierre White a écopé d’une amende de 1 000 livres pour chacun des membres de son personnel arrêtés. Avant lui, un énième chef célèbre, Anthony Worral Thompson, a déboursé une somme identique, suite à l’arrestation d’un serveur algérien qu’il employait. Les faits remontent au mois de janvier de l’année dernière. Le garçon avait été interpellé en présence de clients. Sans révéler son identité, la police le décrit comme un jeune homme d’une trentaine d’années qui a tenté d’obtenir le droit d’asile en Grande-Bretagne, en vain. Il aurait ensuite utilisé de faux papiers français pour se faire embaucher chez Thompson, dans son restaurant, Wozza’s Kew Grill, à Richmond, dans la banlieue chic du sud londonien. Dans leurs écrits, les journalistes anglais s’attardent surtout sur la réputation entachée des chefs étoilés. Ils ne se soucient guère du sort des bougres arrêtés, incarcérés dans des centres de rétention puis refoulés vers leur pays. Bien au contraire, dans leur quasi-totalité, les médias et l’opinion publique saluent la chasse aux travailleurs clandestins. La publication d’une information concernant l’arrestation d’un jeune Algérien, il y a quelques mois, dans un bureau de travail (Job Center) dans la ville d’Oxford, au sud de l’Angleterre, avait suscité des commentaires très xénophobes dans une gazette locale. Plusieurs lecteurs ont réclamé la déportation immédiate du sans-papiers. Lounès T., 24 ans, avait été cueilli par des policiers au moment où il arrivait dans un bureau d’emploi pour récupérer une carte d’assurance sociale. Il s’y est rendu pour la première fois, un mois plus tôt en possession d’un faux passeport français. Faisant valoir un contrat de travail en bonne et due forme, dans un bar sushi de la ville, il pensait naïvement convaincre les employés du centre du bien fondé de sa démarche. Mais ces derniers doutent de l’authenticité de son titre de voyage. Ils procèdent à des vérifications d’usage et se rendent comptent que le passeport est contrefait. Présenté au tribunal, Lounès a été condamné à 10 mois de prison ferme. Sa peine inférieure à 12 mois, l’a prémuni d’une expulsion automatique. Mais rien ne dit qu’il ne sera pas refoulé plus tard.
LES Travailleurs au noir persona non grataEn tout cas, dans le public, des voix de plus en plus nombreuses appellent à l’usage d’une plus grande fermeté a l’égard des travailleurs au noir d’origine étrangère. Longtemps acceptés, voire accueillis à bras ouverts pour pallier l’absence de la main-d’œuvre locale dans certains secteurs d’activité, dit ingrats, ils sont devenus persona non grata, la source de tous les problèmes. Des études très sérieuses s’emploient même à localiser les zones géographiques où se concentrent les sans-papiers. Les Algériens sont réputés pour être présents en force à Finsbury Park, dans la localité d’Islington, au nord de Londres. Dans ce quartier sinistré, les opportunités d’embauche sont pourtant très réduites. Les commerçants locaux, d’origine algérienne, sont peu enclins à employer leurs compatriotes, par crainte de représailles policières. “Les temps sont durs. Ce n’est plus comme avant. Dans le temps, il était possible de dépanner un jeune sans-papiers en lui donnant du travail. Aujourd’hui, nous somme épiés. Au moindre faux pas, la sanction tombe”, confie un restaurateur local. Ni lui ni aucun autre de ses voisins n’est prêt à payer des amendes ou de se voir obligé de baisser rideau pour une violation de la législation du travail. Livrés à eux-mêmes, les jeunes de Finsbury Park tentent alors de voler de leurs propres ailes. Certains s’improvisent vendeurs à la sauvette. D’autres tentent de se débrouiller de faux papiers pour obtenir un emploi. Les plus audacieux ne se contentent pas de frapper à la porte d’un fast food ou même d’un restaurant de renom. Ils ciblent même des institutions officielles. Il y a quelques années, des agents de nettoyage avaient été arrêtés dans l’enceinte du Parlement et dans les locaux de la Police des frontières. En novembre 2007, Marouane Bourenane, un Algérien de 35 ans, était interpellé dans les locaux de Group 4 Securiror, une société privée de sécurité et de gardiennage. Merouane a fait partie du personnel réquisitionné pour encadrer un congrès travailliste cette année-là. Il est même apparu sur une photo, à proximité de l’ancien Premier ministre Gordon Brown. Son affaire a fait scandale. Elle a déclenché une enquête dont les conclusions ont entaché la crédibilité du gouvernement. Selon cette investigation, des milliers d’étrangers en situation irrégulière occupent des emplois dans le domaine de la sécurité. Ils sont gardiens à l’entrée de discothèques et de bâtiments officiels. Certains ont même été employés par Scotland Yard. Personne ne sait exactement combien de travailleurs illégaux, d’origine étrangère, sont présents sur le sol britannique et encore moins le nombre d’Algériens. Les statistiques officielles se basent sur des estimations. Un million de sans-papiers vivrait dans le pays. Si une petite frange de responsables politiques comme Boris Johnson, maire conservateur de Londres, préconise leur légalisation, d’autres plus nombreux insistent sur leur reconduite aux frontières. Ces derniers mois, les assauts contres les lieux susceptibles d’abriter des travailleurs au noir se sont multipliés de manière phénoménale. Il n’y a pas un jour qui passe où les services de l’immigration ne rendent pas compte des résultats de leurs opérations. Un tableau de chasse qui ne semble pas intimider nos compatriotes.
“C’est peut-être plus difficile. Mais tant que je continue à travailler, le reste ne m’importe guère. S’ils m’arrêtent un jour, j’aurai au moins fait assez d’économies pour rentrer au pays”, confie Saïd. Cuisinier dans un pub (bistrot), il fait en sorte de transférer régulièrement son salaire en Algérie. Au cas où il est attrapé, il sait, au moins, qu’il ne sera pas renvoyé au pays, les mains vides. En mars dernier, deux autres compatriotes étaient cueillis dans un restaurant de la chaîne Mac Donald à Watford, près de Londres. Les agents qui les ont arrêtés se sont engagés à les renvoyer en Algérie par le premier avion. “Cette opération, comme beaucoup d’autres, montre que nous faisons tout pour débusquer les sans-papiers où qu’ils soient. Ils ne pourront se cacher nulle part”, s’est engagé Chris Evans, un responsable des services de l’immigration. Celui-ci a invité l’ensemble de ses concitoyens à prendre part à la traque des travailleurs clandestins, en les dénonçant à la police. Un numéro de téléphone a même été mis à la disposition du public. En cette période de vaches maigres, certains ne manqueront certainement pas de s’en servir pour punir tous ces étrangers, qui se serrent dans le métro, très tôt le matin, pour gagner le salaire de la peur.

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